Chroniques

par françois cavaillès

Semele | Sémélé
opéra de Georg Friedrich Händel

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 6 février 2025
Nouvelle production de SEMELE d'Händel au Théâtre des Champs-Élysées (Paris)
© vincent pontet

Pour seul reproche à la belle réussite dramaturgique du Royal Opera House de Londres, réalisée en coproduction avec le Théâtre des Champs-Élysées où elle connaît ce soir sa première parisienne : le lit. Ce Semele d’Händel (1744), superbement audacieux dans son renversant punch final, place trop souvent en point de mire des considérations du public une vaste couche ronde et brillante, digne de la suite nuptiale de quelque palace émirati. Action brimée, personnages dilués, spectateurs moins émoustillés qu’appelés à la sieste, leurs pensées perdues... la présence d’un tel mobilier induit les risques majeurs d’intrigue plombée et de sautes d’attention.

Literie à part, le décor principal d’Annemarie Wood passe tout à fait la rampe, studio moderne et spacieux au pilier géant renfermant un poêle à large grille, pour abriter les amours de Jupiter, Junon et Sémélé, transposées dans un huis-clos contemporain pour bourgeois décoincés, voire tape-à-l’œil. Un chic anglais est sensible dans les costumes (Wood, toujours), entre élégance classique et brin de fantaisie sous influence années soixante du XXe siècle. De manière également variée, les lumières de Fabiana Piccioli participent aux larges effets de volume par de froids néons intimidants, sur cet intérieur aux obscurs miroitements qui, en toute logique avec le récit d’exploitation sexuelle, invitent un voyeurisme primaire, à moins que l’éclairage ne dore parfois les aspirations des protagonistes comme par photosynthèse, ou encore n’alimente, de manière stroboscopique et explosive, le jeu souvent frénétique d’acteurs presque cartoonesques, selon la mise en scène explicite et foisonnante d’Oliver Mears (directeur de la grande maison britannique).

Dans la représentation désenchantée et parfois grotesque de la mythologie grecque, Athamas, Jupiter, Somnus ou Junon ne sont plus que de vagues prénoms d’êtres sans grand pouvoir, mais au geste plutôt banal, sinon médiocre. Ainsi le chef des divinités ressemble-t-il à un vulgaire mac, moins lié à de jeunes beautés hellènes qu’à des midinettes contentes de traîner en nuisette. Rien de nouveau ni de choquant, mais une représentation grossière de plus, qui ne s’embarrasse pas d’une figure héroïque pour montrer un pauvre abruti ennuyé sur un canapé. En dépit de ces agaçants vides poseurs, reste surtout un habile exercice de détournement aussi osé (à manipuler le rôle-titre vers une sombre issue) que cohérent du livret compatissant de William Congreve, avec une contagieuse envie de théâtre à travers l’interprétation généreuse de marivaudages rapides et complexes – notamment lors du prologue gratiné et, plus encore, de l’inoubliable épilogue qui raille haut l’oppresseur.

Les airs bien nourris et les chœurs si propres au compositeur sont confiés à des valeurs sûres du chant baroque. Ayant débuté depuis peu dans ce style, Pretty Yende paraît dans le rôle-titre une artiste en pleine possession de ses moyens [lire nos chroniques de Giulio Cesare in Egitto, Die Zauberflöte, Lucia di Lammermoor et Ricciardo e Zoraide]. Sensible et gracieux pour O Jove, stable et chaudement fondant dans O Sleep, enfin superbe de contrôle et de virtuosité dans l’air du miroir et ses roulades replètes, le soprano sud-africain s’élève de manière bouleversante dans l’amour sincère – With fond desiring – pour rencontrer un Jupiter odieux mais divin, grâce au chant admirable de Ben Bliss, séduisant ténor d’airain, galant de toute évidence dans Where’er you walk, mais aussi félin pour l’ardu I must with speed amuse her, à la hauteur du défi des vocalises, attitudes et paradoxes qui font de la scène un grand art [lire notre chronique de Don Giovanni].

Basse gourmande et profonde, Brindley Sherratt prête un métal guttural à Cadmus et signe en Somnus, bientôt ivrogne et lubrique, un Leave me, loathsome night de velours. De même, excellente comédienne éclatante de naturel et de lyrisme, le mezzo Alice Coote [lire nos chroniques de L’incoronazione di Poppea, Der Rosenkavalier et Agrippina] s’associe à merveille en Junon avec le soprano Marianna Hovanisyan en Iris, d’abord déguisée en détective privée, dont le seul air ne manque pas de charme. Autre heureuse union passagère, le contre-ténor dramatique Carlo Vistoli [lire nos chroniques de Xerse et de Rinaldo], démonstratif aussi suivant la conception des rôles, affirme un remarquable Athamas, svelte, élancé et impressionnant, notamment dans Your tuneful voice, qui pour le duo You’ve undone me, justement ambigu, rencontre en Niamh O’Sullivan une Ino merveilleuse, au mezzo très émouvant et agréable jusqu’à l’ultime rideau [lire nos chroniques de Der Diktator, De la maison des morts, Lalla-Roukh et Das Rheingold].

Mené en fosse par Emmanuelle Haïm, Le Concert d’Astrée soigne les détails (tel dégradé du fugato de la Sinfonia) et soutient de mieux en mieux les chanteurs dans une trame musicale des plus limpides, bien que traversée de terribles coups de tonnerre, tandis que le Chœur, jeune et massif, se montre bon joueur et bien vivant, sans faille vocale, en évitant surjeu et chahut dans l’emballement dramatique tous azimuts qu’encombre souverainement le divin lit royal.

FC