Chroniques

par bertrand bolognesi

Sinfonie ecclesiastiche d’Adriano Banchieri
une procession à Sienne, par La Lyre d’Orphée

Temple du Foyer de l’Âme, Paris
- 31 janvier 2025
La Lyre d’Orphée joue les Sinfonie ecclesiastiche de Banchieri à Paris
© dr

C’est un fort beau programme que donnent ce soir les artistes du collectif La Lyre d’Orphée, rue du pasteur Wagner, sur des instruments qui ont une histoire particulière, et en compagnie de quatre solistes vocaux qui se révèlent intensément inspirés. À Freiberg, ville située entre les cités de Leipzig et de Dresde (à environ neuf lieues au sud-ouest de celle-ci et à une vingtaine au sud-ouest de la première), fut édifiée une luxueuse chapelle funéraire pour les princes électeurs de Saxe, mise en valeur par des maîtres artisans venus de l’Europe entière. En sa coupole, un impressionnant Christ en majesté surplombe une corniche sculptée d’une trentaine d’anges musiciens, occupés à louanger la figure peinte. Dans les mains de ces créatures de plâtre furent placés des instruments – non des leurres, mais de vrais instruments (hormis quelques rares maquettes). Au XVIe siècle, plusieurs luthiers exerçaient aux abords de Freiberg, de sorte que les violons confiés aux phalanges séraphiques renseignent fidèlement sur une facture locale. Oubliés sous la voûte durant plus de quatre cents ans, jusqu’à ce qu’un vaste chantier de restauration du monument, dans les années 1960, attire l’œil sur eux. On s’est alors contenté de les rafraîchir d’un talochage doré, mais ces instruments ne quittèrent plus la mémoire saxonne, depuis. Avec le nouveau siècle, le nôtre, plusieurs historiens spécialistes en organologie, ainsi que des musicologues avisés, se sont plus précisément penchés sur ces cordes célestes. À trente mètres du dallage, ils le démontèrent et, réunis à niveau, les observèrent, via la radiographie, tant et si bien que furent réunies de riches informations sur cette lutherie fort différente de l’italienne (Crémone et Brescia).

De fait, avec ce freiberger Streichquartett (pour ainsi dire), copié il y a une dizaine d’années par Éric Lourme et qui depuis équipent les classes du CRR 93, joué de curieux archets à deux brins croisés, l’on goûte une sonorité certes discrète mais d’une exceptionnelle luminosité, généreuse en harmoniques aigus. La violoniste Hélène Houzel et ses amies et amis Claire Goutrot, Maud Sinda, Lena Torre et Fabien Roussel ont choisi de faire sonner quelques-unes des Sinfonie ecclesiastiche conçues par le moine-compositeur bolognais Adriano Banchieri (1568-1634) pour l’inauguration, en 1607, d’un nouvel orgue Cesare Romani en l’abbaye Santa Maria de Monte Oliveto Maggiore, à Asciano, dépendant de Sienne, via cette inédite banda di violoni sassoni dont la couleur se marie idéalement aux voix, soulignant la joie contagieuse de cette musique heureuse qui s’inscrit sur une marche intermédiaire entre héritage montéverdien et prémices de l’expression baroque.

Des galeries supérieures du temple, il est fait usage afin de spatialiser le concert, quatuor instrumental placé à gauche de la nef, à peu près en position médiane de sa longueur, et pôle vocal installé dans l’angle de droite, devant le public, avec le claviériste Marouan Mankar-Bennis qui tour à tour se tourne vers l’orgue ou le clavecin. Ainsi une joute acoustique favorise-t-elle le rendu très vivant d’une pratique admirablement investie, qui fait apprécier l’assise de Thierry Cartier (basse), les prodigalités divinement enveloppantes du chant de Marine Lafdal (mezzo-soprano) et la précision infaillible de Jehanne Amzal (dessus), enfin la saine clarté de Clément Debieuvre (ténor), toujours d’une saisissante sûreté [lire nos chroniques de La forêt bleue et de Médée]. Une procession à Sienne se déploie à une voix, à deux, à trois, à quatre, articulée par des pages instrumentales également distribuées à un effectif variable, souvenir d’un bonheur potelé de chérubins en stuc, ainsi qu’à des soli pincés ou soufflés. On en redemande !

BB