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Chroniques
Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks
Berlioz, Petrassi et Schubert par Riccardo Muti
Riccardo Muti est l'un des chefs internationaux les plus présents dans la jeune existence de la Philharmonie de Luxembourg : il en donnait le concert inaugural (avec le Philharmonia Orchestra) et depuis lors il y revient chaque année. On le retrouve cette fois à la tête du Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks et de sesChœurs pour une soirée qui fait une fois de plus salle comble. Au programme : rois raretés illustrant le répertoire pour chœur et orchestre, profane et religieux.
D’abord le Gesang der Geister über den Wassern Op.167 D714 (Chant des esprits sur l'eau) de Franz Schubert, poème de Goethe mis plusieurs fois en musique par le Viennois. Accompagné d'un quintette de cordes graves (deux altos, deux violoncelles et une contrebasse), le chœur à huit voix masculines indépendantes présente une polyphonie assez complexe, les instruments imitant le plus souvent la ligne vocale. Entre inquiétude et prière, ce chant est de couleur sombre et de caractère grave, la musique collant au plus près la signification du texte. Ce soir, il s’agit d’une exécution à grand effectif, avec une vingtaine de choristes et un ensemble instrumental tout aussi fourni. Fidèle à sa réputation, le Chor des Bayerischen Rundfunks accomplit des prouesses de lisibilité, de transparence et de beauté des timbres, alors que les cordes produisent des douceurs incomparables qui rendent justice à cet opus éloquent et spirituel.
Encore moins fréquent au concert lui succède Coro dei morti de l’Italien Goffredo Petrassi (1904-2003). Petrassi compose ce madrigale drammatico en 1940-1941 sur un texte de Giacomo Leopardi (1798-1837), Dialogo di Federico Ruysch e le mummie. Frederik Ruysch fut un anatomiste hollandais (1638-1731) dont la légende dit qu'il parlait avec les cadavres qu'il embaumait. Pour accompagner ce texte mystique, le compositeur met en place une formation instrumentale spécifique : trois pianos, cors, trompettes et trombones, contrebasses, timbales, caisse claire et grosse caisse. Utilisant cet effectif avec beaucoup de maîtrise, Petrassi dose ses effets et obtient d’étonnantes combinaisons de timbres qui déclinent des sonorités à dominante sombre. Placé au centre de la pièce, un Scherzo rugueux et crispant, aux rythmes volontiers outrés, est encadré par des mouvements lents au caractère crépusculaire et menaçant dans lesquels le compositeur fait se succéder alternativement des passages mélodiques plus simples avec des contrepoints très complexes. Avec la conviction et la maîtrise qui lui sont coutumières, Riccardo Muti et ses forces bavaroises défendent cette belle découverte pour un public conquis.
La pièce principale conclut le concert. De la Messe solennelle d'Hector Berlioz, Muti s'est tout naturellement fait le défenseur, en grand connaisseur de l’œuvre de Cherubini. Il l’interprétait d’ailleurs une nouvelles fois en avril dernier, à la tête de l'Orchestre National de France (à Paris). Longtemps considérée comme perdue, cette messe ne fut retrouvée qu'en 1991, une copie ayant été découverte dans l'Église Saint-Charles-Borromée d'Anvers. Venant d'un jeune homme d'à peine plus de vingt ans qui n'avait entrepris sérieusement ses études musicales que depuis peu, le résultat est saisissant : tout le génie de Berlioz, son audace et son inventivité sont y sont déjà. L'œuvre recèle d'incontestables maladresses, sans parler d’une inspiration inégale, mais le musicien, qui déjà maîtrise l'orchestre, pourra puiser là des extraits pour nourrir ses compositions ultérieures. Après sa deuxième exécution en 1827, malgré le succès emporté, l’auteur insatisfait en fit détruire toute copie, sauf une qu'il avait précédemment offerte à son ami le violoniste belge Antoine Bessems : c’est ce dernier qui emporta la partition dans ses papiers, à Anvers.
Riccardo Muti dirige la Messe solennelle avec éloquence, posément, comme s’il s’agissait d’un chef-d'œuvre sans défaut. Les tempi sont allants sans précipitation et les parties solennelles rendues avec la majesté nécessaire, sans paraître jamais écrasantes ou raides. On admire les passages les plus lyriques, comme l'Incarnatus, aérien et chaleureux à la fois, ou la vigueur théâtrale décomplexée qu'il donne au Credo. Finalement, le seul écueil que n'arrive pas à éviter le chef est le Quoniam qui, pris trop lentement, est bien « une exécrable fugue », comme l'écrivit Berlioz lui-même. Espérons qu'un éditeur ait la bonne idée d'immortaliser sa vision d'une pièce dont la discographie encore trop clairsemée mériterait qu’on la renouvelle.
Si le chœur et l'orchestre se montrent admirables dans cette partition semée d'embûches, le trio de solistes est moins éclatant. Giuseppe Sabbatini et Ildebrando D’Arcangelo, initialement prévus, sont remplacés par le ténor Herbert Lippert qui satisfait mais dont la partie est fort courte, et par la basse Petri Lindroos au ton emphatique, totalement hors-sujet ; la voix est courte, faible en puissance et manque de métal, tout en arborant des graves limités et un vibrato encombrant qui réduit beaucoup l'impact du stratégique Credo. Le soprano Genia Kühmeier pose un autre problème : ravissante et puissante, elle est malheureusement un peu trop « charnelle » et terrestre pour donner un Incarnatus tout à fait convaincant, malgré la haute qualité de son chant.
RL