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Chroniques
Solistes XXI, Rachid Safir
Philippe Leroux | Quid sit musicus ? (création mondiale)
Une seule œuvre au programme de ce concert qui constitue le premier volet d’un portrait qu’à Philippe Leroux consacre le festival ManiFeste. Dans l’Espace de projection de l’Ircam sont réunis les Solistes XXI (deux soprani, un mezzo, deux ténors, un baryton, une basse) et leur chef Rachid Safir, Valérie Dulac au violoncelle et la vièle, les parties de guitare et de luth étant assurées par Caroline Delume. Cet instrumentarium assez inhabituel dans le paysage contemporain favorise le dialogue avec la musique du XIVe siècle, qu’il s’agisse de Jacob de Senlèches ou de Guillaume de Machaut, un dialogue qu’a souhaité le compositeur qui livre ici un opus d’une heure découpé en vingt-et-une parties enchaînées, dont quatre emprunts à ses ainées.
Quid sit musicus ?... entre les penseurs d’autrefois et les atermoiements d’aujourd’hui face à une technologie toujours plus précise (sinon efficace, comme de mauvaises expériences peuvent encore le donner à croire), il ne revient certainement pas aux images assez pauvrement anecdotiques de Til Berg de prolonger la réflexion des théoriciens de l’ars subtilior. En revanche, le parcours sonore que signe Leroux mène l’auditeur bien plus loin que la seule expérience du concert, assurément.
De nombreuses techniques vocales sont ici convoquées, de la mélopée conçue comme l’emphase déclamatoire à l’attaque onomatopéique, en passant par le glissando micro-intervallique et ses fascinants effets de « mollesse tonique », pour ainsi dire, la scansion rapide, la récitation ad aeternam, mais encore la déglutition amplifiée, etc. Tout en préservant l’œuvre de tout spectacle, à plusieurs reprises emprunt est fait aux procédés du théâtre musical – dans le retour plus ou moins obsessionnel de l’accent, par exemple, dans l’entrelacs d’ostinati orgiaques, entre autres.
Ce nouvel opus révèle une passionnante invention, dans l’écriture vocale comme dans le surcroît électronique (réalisé par Gilbert Nouno). On admire Désert à l’essai, deuxième des cinq poèmes de Jean Grosjean (et huitième séquence de la pièce), continuum contrarié par des rythmes proprement infernaux, la chantourne en trio La harpe de mélodie de Senlèches, d’une grâce absolue avec ses discrets inserts électroniques, enfin l’effervescence des fonctions sonores, tel un agglomérat d’essais adverses qui, à lui-même, forme un tout qu’on pourrait penser involontaire, absorbant tous les moyens mis en œuvre jusque-là dans un final foisonnant.
Ce véritable bijou est disponible à l’écoute jusqu’au 23 juillet [Le concert contemporain d’Arnaud Merlin – voir le site de France Musique] ; ne vous en privez pas !
BB