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Chroniques
The fairy queen | La reine des fées
semi-opéra d’Henry Purcell
Double-saisie pour l’imagination débordante de Jean-Philippe Desrousseaux, en prise avec A midsummer night's dream et avec The fairy queen – Shakespeare, dûment invité, et Purcell, bien évidemment. La drolatique mythologie de ces deux-là se trouve adroitement propulsée à Buckingham, dans les récentes décennies de sa typique oscillation entre tradition et excentricité – qualité sourdant sans doute de la précédente, si ce n’est à considérer qu’il puisse aussi bien s’agir d’une excentricité traditionnelle, au fond, ou ainsi perçue d’un œil continental. Le metteur en scène a décidé de s’amuser, aucun doute sur ce point, et, ce faisant, donne multiples possibilités aux acteurs de sans relâche s’amuser eux aussi, tant et si bien que le public, volontiers souriant dans les premiers pas de la représentation, rit de plus en plus, certaines gorges s’esclaffant bientôt à qui mieux mieux – à l’opéra, la chose n’est pas si fréquente ! Point de vulgarité ni de ce trash lourdaud capillotracteur de trop nombreuses actualisation des titres du répertoire : ici règne une loufoquerie frémissante et ingénieuse qui n’arbore d’autre mauvais goût que celui d’un jelly cake animé dont les micro-organismes s’affichent pour Elizabeth II, Lady Diana, Boris Johnson, Margaret Thatcher et même un small prince of Wales en manière de tambour mécanique aux joues rose gratte-cul !
Encore faut-il une équipe de bonne composition dont la pluridisciplinarité des talents ne fasse guère défaut, sans quoi l’aventure fait flop. À ce chapitre, l’Atelier lyrique de Tourcoing peut s’enorgueillir d’avoir réuni des artistes sans failles, tout au service de cette électricité fébrile, vis comica contagieuse dont l’esprit positivement potache s’élève au delà de la sympathie qu’elle inspire comme de la participation induite, deux facteurs de bienveillance obligée, pour ainsi dire. Si les géniales élucubrations british de cette Fairy queen trouveraient bonne place dans quelque spectacle d’étudiants, comme déjà le suggère la perspective néogothique du décor conçu par le metteur en scène, en collaboration avec le scénographe François-Xavier Guinnepain – chapelle d’un des collèges de l’élite britannique ?... – avant l’apparition de quatre adolescentes à l’uniforme spécifique de ces institutions, encore invitent-elles à vivre de plein fouet un genre, celui du semi-opera baroque dont les dialogues parlés le disputent à autant de songs, duets, chorus et autres dances : de fait, c’est précisément de cette bigarrure spécifique de l’œuvre que l’heureuse proposition de Desrousseaux accepte la souveraine influence.
Saluons donc la joyeuse équipée du jour, des plus modestes rôles aux incarnations exhibées davantage, à presque tous étant confiés plusieurs personnages de cette ruche frénétique. Ainsi des quatre gamines échappées de quelque college lawn, les soprani Alice Pech et Audrey Dandeville, ainsi que les mezzos Irina Golovina et Magali Aguirre Zubiri. Nous apprécions les ténors François Mulard (Helena) et Benedict Hymas, Puck tant dévoué que gaffeur et Diana idéale, le mezzo Chantal Cousin en monarque omniprésente – seuls les corgis manquent à l’appel – dont le vaillant cocorico de l’Acte V sonne encore en nous, à provoquer le rire, enfin les barytons Linfeng Zhu, Mortdefaim attachant puis improbable Hermia, enfin Victor Duclos, irrésistible escogriffe à la voix bien pendue, mais encore danseur méritant (Jardiner, Derrière et Lysandre).
Une cinquième jeune fille se détache du groupe pour devenir Titania, la reine des fées, Coline Dutilleul au mezzo enveloppant [lire notre chronique de Cenerentola], tels les voiles qui la dessinent, échappés des toiles de Füssli – Alice Touvet signe une véritable fantaisie de costumes. La leçon d’Obéron est confiée à Robert Getchell dont fait autorité l’alto désormais plutôt ferme. C’est parce qu’on a bien lu la brochure de salle qu’on est certain de retrouver Alain Buet en Boris Johnson / Egeus copieusement imbibé, mais on pourrait se frotter les yeux afin d’en être sûr ! Enfin, la voix agile et le timbre attachant de Rachel Redmond dont les délices musicales de la soirée (La bonne).
Quatre interventions brillent par la marginalité où les place leur périphérie fonctionnelle – à s’en tenir à de strictes définitions opératiques. Pour le marionnettiste Jack Ketch, Petr et Katia Řezáč ont créé les inénarrables Punch & Judy batailleurs. Le maître de cérémonie, celui qui distribue les rôles aux jardiniers avant de lui-même se charger de Démétrius, est le comédien Vincent Violette. Enfin, les passepieds et entrechats de Steven Player font l’âme du spectacle, extraordinaire Iron Lady dont la fausse maladresse requiert l’impressionnante maîtrise du danseur.
Au pupitre de ses Ambassadeurs–La Grande Écurie, dont il y a peu notre consœur applaudissait la parution du premier volume de Per l’orchestra di Dresda [lire notre chronique du CD], Alexis Kossenko surprend par une lecture plus colorée que de coutume. Après s’être interrogé en honnête homme quant à la sonorité de l’orchestre de Purcell, le chef expérimente un abord nouveau qui souligne habilement la théâtralité du propos. Voilà qui soutient parfaitement la conception générale !
BB