Chroniques

par bertrand bolognesi

The Seven Deadly Sins
spectacle de Sandra Preciado

musiques d’Holländer, Kander, Milhaud et Weill
Théâtre du Casino Barrière, Lille
- 9 juillet 2025
Les deux ANNA des "Sept péchés capitaux" de Kurt Weill au Casino de Lille
© ugo ponte | onl

Pour terminée qu’elle est, la saison de l’Orchestre national de Lille (OnL) se prolonge via ses Nuits d’été, comme c’est le cas ce soir avec Les sept péchés capitaux… ou, pour être précis, The Seven Deadly Sins, les maîtres d’œuvre du présent projet ou/et l’institution ayant préféré monter la version étatsunienne de 1950 du ballet chanté de 1933, de sorte que nous n’entendrons pas le texte de Bertolt Brecht mais son miroir de langue anglaise, signé by Wystan Hugh Auden et Chester Kallman. De fait, la soirée s’annonce profondément musical, sa première partie, pour ne pas dire son lever de rideau, faisant entendre Isabelle Georges dans deux extraits de Cabaret, la célèbre comédie musicale de John Kander. Au pupitre de l’OnL, l’excellent Joshua Weilerstein, son nouveau patron, dirige à l’économie et avec une indéniable efficacité un répertoire plaisant qui n’en demande certes guère plus. Accompagné au piano par Jean-François Boyer, le fort approximatif soprano se lance dans Ich bin von Kopf bis Fuß auf Liebe eingestellt, l’une des célèbres chansons du film Der blaue Engel, venant appuyer un lien : l’argument de Cabaret se déroule à Berlin dans les années de la montée du grand péril brun et, si l’intrigue du roman d’Heinrich Mann qui inspira la bobine de Josef von Sternberg fut écrit en 1905, le réalisateur l’adaptait en 1930 avec Marlene Dietrich.

En 1934, Kurt Weill a fui le nouveau régime allemand. Il conçoit une musique de scène pour Marie Galante, une pièce désormais parfaitement oubliée de Jacques Deval. En revanche, et grâce à plusieurs reprises défendues par Teresa Stratas ou Ute Lemper quand ce ne fut Anna Prucnal, Le roi d'Aquitaine, La ballade du Grand Lustucru et Youkali sont des sept chansons qui en survivent encore. Dans le même dispositif (voix et piano) est livré Youkali. L’orchestre se réchauffe ensuite avec Mack the Knife, qui n’est extrait ni de L’opéra de quat’ sous, comme imprimé dans la brochure de salle, encore moins de Dreigroschenoper, mais du Threepenny Opera et dans une orchestration qui en gomme drastiquement tout le mordant à l’avantage d’un glamour définitivement nauséabond. L’éclectisme de cet avant-propos se complète enfin dans une exécution savoureuse du Bœuf sur le toit de Darius Milhaud où fêtes et mélancolies alternent avec un faste inouï, ici servi par un sens admirable de la couleur et la sensualité de l’inflexion.

Après l’entracte, entrons dans le vif du sujet, soit The Seven Deadly Sins. Mais, au juste, pourquoi cette langue anglaise, à nouveau, pour interpréter une œuvre qui ne fut nord-américaine qu’en dernier lieu ? Faut-il envisager dans cet usage un rien forcé une critique de la politique autoritaire des USA aujourd’hui ? Si c’est le cas, il semblera tout aussi justifié, au regard de l’actualité mondiale, de chanter ces pages en russe ou en hébreux, voire en vendéen si l’on s’ingénie à balayer devant sa porte – la question demeure ouverte, donc. Toujours est-il que bonne est la surprise d’entendre le mezzo-soprano Bella Adamova dans la partie chantée du rôle d’Anna, le double-personnage principal des Sieben Todsünden : la voix est pleine, l’émission facile et la projection évidente, mais encore l’artiste habite sa prestation d’une présence attachante, y compris dans les échanges dansés avec son elle-même, pour ainsi dire, incarnée par la chorégraphe Jess Gardolin, fascinante et tragique. Si la proposition scénique de Sandra Preciado se distingue de bout en bout par une indigence à défriser les chauves, le lecture infiniment nuancée de Joshua Weilerstein [lire notre chronique d’A Survivor from Warsaw] et des musiciens de l’OnL cultive avec délices une dramaturgie plus assurément signifiante. Nous n’en saurions dire autant d’un quatuor vocal qui, dans les ensembles, honore plutôt correctement sa charge, mais qui, individuellement, ne satisfait pas – en l’oreille nous en garderons le père, impeccablement tenu par le baryton Guillaume Andrieux [lire nos chroniques de L’ivrogne corrigé, Les enfants terribles, Pelléas et Mélisande, Didon et Énée, remembered, The telephone, Le Balcon et Die sieben Todsünden], et le ténor lumineux de Fabien Hyon en Second Frère lire nos chroniques d’Iliade l’amour, Kamchatka, Stratonice, L’Odyssée et Boris Godounov].

BB