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Chroniques
Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
opéra de Richard Wagner
La nouvelle production de Tristan und Isolde au Theater Münster, confiée à Clara Kalus qui l’installe dans un décor de Dieter Richter [lire notre chronique de Rinaldo] et des costumes de Katharina Weissenborn, propose une lecture visuellement foisonnante. Le gigantesque cadre doré qui traverse les trois actes, véritable marque-scène, incarne l’enfermement et la transcendance à la fois. À l’Acte I, une société masculine est montrée comme figurée dans ce bunker où Brangäne et Isolde sont confinées. Le II dévoile une serre tenant lieu de musée où trône un tableau-clé, Le radeau de la Méduse que Géricault peignit entre 1818 et 1819 – représentation du naufrage, de l’abandon, de l’agonie de tout espoir. Une telle inclusion pourrait symboliser l’amour de Tristan et d’Isolde comme une barque dérivant sur la mer houleuse, suspendue entre la vie et la mort, enfin voguant résolument vers le néant. Cette toile démesurée, où apparaissent des ombres chantantes, permet à la metteure en scène de subsumer l’idée de l’amour tragique à une image de ruine et de renaissance potentielle. Toutefois, cela n’évite pas la surcharge symbolique qui parfois dilue l’imprégnation direct de la passion des personnages du mythe.
À la tête du Sinfonieorchester Münster, Golo Berg [lire nos chroniques de Tristan und Isolde et d’Angels in America] opte pour une direction résolument chambriste, respectueuse des courbes et de la couleur, tout en préservant la puissance dramatique. Dans des tempi retenus et soigneusement mesurés, les vents respirent et les transitions révèlent leur raffinement. Le chœur répond avec densité et présence, notamment dans les scènes du I où les hommes entourent Tristan. Fosse et chœur offrent ainsi une base musicale solide qui, quand bien même la teneur théâtrale paraît parfois trop démonstrative, honore la partition par une clarté et un engagement rare.
La distribution vocale affirme un bon niveau. Kristiane Kaiser incarne une Isolde à la fois passionnée et intérieure, déployant un legato soigné dans le Liebestod. Brad Cooper campe un Tristan endurant et lyrique, davantage dans la lumière que dans l’ombre mais convaincant dans son arc tragique [lire notre chronique de Die Feen]. Wioletta Hebrowska impose un contre-poids vocal riche en Brangäne, notamment dans Habet acht!. Johan Hyunbong Choi, solide Kurwenal, fait sentir la fraternité et la loyauté, tandis que Wilfried Staber en Marke porte une basse d’autorité. Le rôle de Melot, interprété par Ramon Karolan, demeure trop discret quoique satisfaisant dans son engagement scénique.
Pour résumer, ce spectacle offre un Tristan visuellement ambitieux, conceptuellement fouillé, musicalement convaincant. En intégrant Le radeau de la Méduse, qui fit scandale en son temps, la mise en scène propose un parallèle frappant entre amour mortel et naufrage collectif, comprimant l’extase wagnérienne dans une image de dérive et de quête. Certes, l’abondance symbolique peut gêner la pure ascension émotionnelle, mais le résultat, pour contestable qu’il soit, demeure saisissant : une soirée où triomphe la musique et les voix.
HK
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