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Zach Borichevsky, Dinal Kutzetsova, Juha Uusitalo, Renaud Capuçon
Orchestre Philharmonique de Radio France, Santtu-Matias Rouvali
Encore électrisés par la soirée Ravel de vendredi, nous retrouvons ce soir les Chœur et l’Orchestre Philharmonique de Radio-France dans un programme de musique russe reliant, en complément du concerto central, la cantate Sept, ils sont sept de Prokofiev à Les cloches, celle de Rachmaninov. De cette Séquence Violon Santtu-Matias Rouvali dirige le menu aux antipodes du contenu d’hier [lire notre chronique de la veille].
D’une durée de près de huit minutes, la Cantate pour ténor, chœur et orchestre « Sept, ils sont sept » Op.30 de Sergueï Prokofiev (1917/1933), dont l’écriture orchestrale fait parfois songer aux accents primitivistes du Sacre du printemps, se déploie sur un texte réalisé à partir d’une inscription assyrienne découverte à la même période sur le frontispice d’un temple à l’issue de fouilles archéologiques. Ces sept « esprits malfaisants », « esprits d’épouvante », qui inspirent et titillent manifestement l’imaginaire de Konstantin Balmont, sont traduits dans le champ de l’orchestre par une juxtaposition permanente de blocs abrupts dans une écriture rythmique aux contours motoriques et ciselés. Élément récurrent de la structure du texte, « sept, ils sont sept » se trouve alternativement réparti (presque spatialisé) entre partie soliste (ténor) et chœur mixte.
Cette œuvre fait constater à quel point la battue du jeune maestro finlandais se fond avec intelligence dans les logiques de ce répertoire. Infiniment précise, l’élégance en arabesque qu’on observait dans la musique de Ravel laisse place à une gestuelle incisive, en mécanique de précision. Malgré cette infinie clarté, il semble parfois difficile d’obtenir une attaque parfaitement synchronisée des interventions chorales, problème sans doute lié à la profondeur de plateau de l’Opéra Berlioz. Néanmoins – sans doute sommes-nous moins sensible à ce qui est en jeu ici –, l’ensemble reste parfaitement solide et témoigne de l’élasticité d’un orchestre brillant, tout aussi à son aise chez les Russes. Notons également la performance vaillante du jeune ténor Zach Borichevsky [photo] dans cette forme complexe de recitativo, sinueuse et difficile à équilibrer. Tout cela fonctionne admirablement.
Le Concerto pour violon en la mineur Op.77 n°1 de Dmitri Chostakovitch conclut la première partie (il remplace le Concerto Op.47 de Sibelius initialement prévu). D’une orchestration pour le moins originale (piccolo, trois flûtes, trois hautbois, cor anglais, trois clarinettes, deux bassons, contrebasson, quatre cors, tuba, percussion, célesta, deux harpes et cordes), cette pièce concertante de 1948, truffée de références, hommages plus ou moins masqués (Elgar, Beethoven, Stravinsky, etc.) et d’une durée de près de trente-cinq minutes, se structure en quatre mouvements dont les deux derniers sont joints par une cadence du soliste. De ces épisodes contrastés, entre danse démoniaque, passacaille, nocturne et burlesque, nous retiendrons une belle sonorité d’orchestre (presque plastique) constituant un écrin idéal pour contrepointer l’écriture solistique. Énergie, vitalité, virtuosité sans faille et clarté du texte sont les armes principales de Renaud Capuçon. Néanmoins, et malgré ces qualités incontestables, nous y trouvons parfois un léger manque de relief mené dans une conduite souvent rectiligne. D’autre part, et notamment dans la danse démoniaque du Scherzo (II, Allegro), la rigueur de mise en place se partage quelque fois entre tempi du soliste, tempi du premier et second plan d’orchestre.
Les cloches Op.35 (ou Les carillons) de Sergueï Rachmaninov vient clore cette seconde prestation montpelliéraine du Philhar’. Également écrite sur un poème de Balmont, inspiré du poème The Bells d’Edgar Allan Poe, cette cantate pour soprano, ténor, basse, chœur et orchestre (1913) explore, sous la métaphore de « sonorités associées » d’un ensemble de cloches (grelots, tocsin, glas funèbre, etc.), les différentes grandes étapes de la vie humaine et de son inexorable condition. Irriguant la pensée orchestrale de l’œuvre et traitée de manière littérale (utilisation de cloches tubulaires, jeux de timbres, etc.) ou figurée (phénomène de résonnance et harmoniques de cloches transposées à l’orchestre), ces images sont complétées par une grande polyvalence de l’écriture vocale – elle est parfois très opératique. Cette dernière se trouve par ailleurs parfaitement servie par un casting vocal (soprano, ténor, basse) de grande qualité – Dinal Kutzetsova (soprano), Zach Borichevsky (ténor) et Juha Uusitalo (basse).
Santtu-Matias Rouvali porte avec beaucoup justesse et de bienveillance solistes, chœur et orchestre. Performant dans Ravel, il l’est tout autant dans ce programme russe exigeant, entre concerto et grand effectif, et profite de la souplesse d’une formation largement acquise à sa cause. Nous sommes ravis de trouver un orchestre visiblement au sommet de ses possibilités et dans une belle complicité avec le jeune chef invité. Affaire à suivre…
NM