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Chroniques
Adolph Deutsch
The Maltese Falcon – George Washington slept here – The Mask of Dimitrios – High Sierra – Northern Pursuit
Si l'on cherche une belle définition du trop usé melting pot étasunien, peut-être faudrait-il fouiller l'histoire hollywoodienne de la musique de film, qui voit se mélanger un nombre étourdissant de pedigrees internationaux, issus pour l'essentiel de la vieille Europe. En effet, ce milieu-là comptait peu d'américains authentiques dont les familles auraient été installées de longue date dans le pays, mais au contraire une écrasante majorité de musiciens immigrés récents d'Europe centrale, d'Allemagne ou de Russie, fuyant les soubresauts désagréables de l'histoire du XXe siècle, et fondant ensemble les bases d'un son hollywoodien sur lequel repose encore aujourd'hui le cinéma du monde entier. Max Steiner (Autant en emporte le vent, 1939) était autrichien, Eric Korngold (Les aventures de Robin des bois, 1938, entre autres) allemand, Frantz Waxman (La fiancée de Frankenstein, 1935 ; Fenêtre sur cour, 1954) était originaire de Silésie, etc.
Né en Grande-Bretagne, Adolph Deutsch (1897-1980) est un compositeur hollywoodien moins fameux et certainement moins flamboyant que les grands génies précédemment susnommés, et dont le parcours ne s'inscrit pas exactement dans la même logique biographique et esthétique ; c'est pour cela qu'il mérite aussi d'être mieux connu. D'abord, Deutsch n'est pas issu d'une aristocratie musicale classique, comme beaucoup de ses collègues de l'époque : arrivé aux États-Unis à l'adolescence, il se passionne d'abord pour sa musique populaire et c'est relativement tard qu'il se met à la musique. Quasiment autodidacte, il commence par réaliser des arrangements d'orchestres de danse dans les années vingt, puis dans les années trente travaille dans l'ombre de plusieurs chefs d'orchestre américains au titre d'assistant ou de réarrangeur ; c'est ainsi qu'il collaborera avec Paul Whiteman, et qu'il dirigera à Broadway les partitions de plusieurs géants du genre, tels Gershwin ou Irving Berlin. Ensuite, de la fin des années trente et jusqu'aux années soixante, il se consacre pleinement à la musique de film, au sein des plus grands studios de l'époque : MGM, Warner, United Artists, Paramount, etc., et signe les partitions de nombreux blockbusters internationaux, tels Le faucon maltais en 1941, Certains l'aiment chaud en 59 ou encore Show Boat en 51.
Naxos nous propose ici une sélection de cinq partitions réalisées par Deutsch dans sa période Warner (entre 1937 et 1945), une ère hautement troublée et créative. Le compositeur de cinéma John Morgan a reconstitué en suites équilibrées et parfaitement audibles le travail d’Adolf Deutsch pour cinq films aux univers parfaitement hétéroclites, que le chef d'orchestre William Stromberg, à la tête de l'Orchestre Symphonique de Moscou, parvient à rendre avec une infinie justesse et une passion évidente de ce type de musique. Pour The Maltese Falcon (1941) de John Huston, Deutsch écrivit une musique très dramatique, cherchant à souligner les moindres inflexions de l'action et des sentiments des personnages, dans une constante tension, à la limite du stress. L'ambiance parfois onirique (par exemple le n°5 : The plot, à la harpe et au métallophone) donne beaucoup d'intensité à la partition. On s'amusera du délicieux et trop court End Cast (n°8) qui semble parodier, sur à peine plus de quarante secondes, une chanson populaire vaguement jazzy de l'époque, que Gershwin aurait très bien pu commettre.
Dans George Washington Slept Here (1942), le musicien développe un univers plus ludique, enjoué et populaire, à l'image du film. Truffée de références au folklore américain et à de nombreux chants militaires, Deutsch semble prendre beaucoup de plaisir à écrire cette musique de comédie, n'hésitant pas à faire souvent du mickeymousing, technique empruntée au dessin animé qui consiste à souligner la moindre inflexion d'une action par une ligne musicale (n°4 : The phone). En 1944, pour The Mask of Dimitrios, Deutsch ne développe pas de leitmotivs ni même de thèmes musicaux, mais construit une atmosphère sombre, qui correspond parfaitement aux thématiques de ce film d'espionnage. On soulignera notamment Blackmail letter (n°8) dont les motifs répétitifs ne sont pas sans rappeler les partitions obsessionnelles de Bernard Herrmann. Dans High Sierra (1941), il retrouve les accents vaguement héroïques et un peu désabusés de Maltese Falcon et donne toute la mesure de son talent de mélodiste, s'illustrant dans des séquences d'une beauté et d'une subtilité époustouflantes (n°2 : The pardon), et semble se plaire à parodier un univers de comédie musicale que n'aurait pas renié Gershwin ou Cole Porter (n°3 : Velma's Plight). En 1943, dans Northern Pursuit, Deutsch fait en sorte de coller au mieux à l'action – un film de guerre montrant une opération d'un groupe nazi au Canada – en utilisant notamment une chanson nationale canadienne, The Maple Leaf Forever.
L'enregistrement digital de 2000 rend parfaitement justice à la brillance de ces œuvres, rarement géniales mais souvent intéressantes et toujours subtilement documentaires du son d'une époque. Le livret, en anglais uniquement, propose une présentation de grande qualité de l'homme, de l'œuvre, et des films correspondants.
FXA