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Chroniques
Antonio Vivaldi
concerti pour l’Empereur Charles VI
En 1727, Vivaldi dédie à l'Empereur Charles VI Habsbourg sa Cetra Op.9. Un an plus tard, le souverain vient inspecter le port de Trieste. Le musicien fait le déplacement depuis Venise pour le rencontrer, et lui offrir une nouvelle Cetra qui n'a de commun avec son aînée qu'un seul concerto. Se connaissaient-ils ? Andrew Manze se pose la question, et imagine qu'il est fort probable qu'une correspondance ait été échangée entre les deux hommes. Certains documents affirment qu'en tout cas, cette rencontre à Trieste s'est agrémentée de belles conversations, Charles VI étant lui-même excellent musicien et ami des arts qu'il a soutenu d'une manne généreuse, et que Vivaldi en retira, sinon un poste à Vienne comme tout porte à croire qu'il espérait, tout au moins de l'estime et de non négligeables avantages pécuniaires. Belle-au-bois-dormant de la Bibliothèque de Vienne, la partition de nouveau cycle rencontrerait le baiser du musicologue Michael Talbot, son Prince charmant venu lui redonner vie après deux siècles et demi.
On ne présente plus The English Concert que Trevor Pinnock a fondé et dirigé durant une trentaine d'années. Depuis 2003, le violoniste anglais Andrew Manze lui succède : c'est avec cette formation qu'il présente aujourd'hui la première publication discographique des Concerti pour Charles VI, ce qui implique qu'après tant de temps passé à dormir à Vienne, ils durent encore attendre trois décennies avant que six d'entre eux (il y en a douze) pussent être entendus par le plus grand nombre. Le présent enregistrement s'ouvre sur l'énergique Larghetto du 2ème Concerto en ut majeur RV 189 aux accents par moment chargés d'une relative inquiétude. Le Largo, avec ses allures d'introduction de lamento d'opéra, fait entendre la sonorité tendre de Manze, dans une grande sobriété, comme pour mieux briller dans l'Allegro molto dont le premier trait s'apparente à un motif bien connu des Quatre saisons. Signalons que la cadence, de même que celle du mouvement central du dernier concerto de ce disque, est d’Andrew Manze lui-même.
Une main non encore identifiée à sous-titré L'amoroso le 10ème Concerto en mi majeur RV 271 dans lequel The English Concert prépare une trame très délicate aux discrètes acrobaties du soliste, osant parfois une précarité du son assez émouvante. Pour sûr, on constatera une évidente tendresse, y compris dans l'Allegro qui clôt cette page. Les interprètes ont pris soin de l'équilibre général, nuançant avec beaucoup de raffinement leur lecture, sans jamais détimbrer leurs instruments. C'est un Vivaldi globalement moins dramatique, plutôt calme – on pourrait dire aimable – que l'on goûte ici.
Le climat se gâte pour le 3ème Concerto en ut mineur RV 202 qui s'annonce avec une expression comme indignée dans laquelle le violon solo vient apporter une étonnante lumière. Toutefois, les contrastes restent toujours raisonnables. Le Largo paraîtra chargé de regrets sans exagération trop théâtrale. Mais attention : à force de pudeur, il arrive qu'on perde l'accroche charismatique – pas nécessairement vulgaire, loin s'en faut – par laquelle d'autres violonistes parviennent à happer l'auditeur dans le répertoire vivaldien. Remarquons également que pour non molto qu'il soit, le troisième mouvement est tout de même indiqué Allegro ; c'est une tendance observable dans le premier mouvement du 7ème Concerto en ut majeur RV 183, à la pulsation trop alourdie. En revanche, l'apparente simplicité de la mélodie ornée du Largo est délicieuse.
Bref, sans détailler plage par plage un disque dans l'ensemble fort intéressant, nous pouvons conseiller ici un travail soigné, toujours très propre (ce qui n'est pas toujours de mise dans beaucoup de parutions vivaldiennes), bien que peut-être un peu sage.
AB