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Benjamin Britten
Simple Symphony – Temporal Variations – A Charm of Lullabies – Lachrymae – Suite on English Folk Tunes « A time there was... »
Naxos poursuit une entreprise de salubrité publique musicale et culturelle : la reprise des enregistrements réalisés dans les années quatre-vingt dix par Steuart Bedford pour le label Collins Classics. Nous avons dit ailleurs à quel point cette intégrale Britten en son numérique était justifiée [Serenade for tenor, horn and strings – lire notre critique du CD]. Bedford fut longtemps directeur artistique du Festival d'Aldeburgh et a réalisé plusieurs enregistrements d'œuvres de Britten, sous la supervision du compositeur au milieu des années soixante-dix : autant dire qu'il est en parfaite osmose non seulement avec la musique du maître britannique, mais aussi son univers. Une autre vertu de cette intégrale est de proposer des world première recordings d'œuvres rares exhumées après la disparition du compositeur en 1976, ce qui évidemment n'a pas de prix pour les amateurs.
Commençons par le plus précieux ; ce disque propose deux inédits : Temporal Variations pour orchestre et hautbois concertant, et A Charm of Lullabies Op.41, cycle de songs pour orchestre et mezzo-soprano. En réalité il s'agit moins d'authentiques inédits que de passionnantes orchestrations d'œuvres antérieures, réalisées par le compositeur Colin Matthews au début des années quatre-vingt dix pour l'Orchestre Symphonique d'Indianapolis et le Festival d'Aldeburgh. LesTemporal Variations, pièce de musique de chambre pour piano et hautbois, ont été crées en décembre de 1936 par l'hautboïste Natalie Caine, amie de longue date de Britten. Bouleversé par les critiques négatives à l'encontre de cette pièce, le compositeur la retira de son catalogue. En 1990, le hautboïste Nicholas Daniel – soliste de cet enregistrement – proposa à Matthew de transformer les Temporal en une grande suite pour hautbois et cordes telle que Britten lui-même avait projeté de le faire sans jamais mener à bien cet espoir. On sait son intérêt pour le hautbois, notamment dans sa jeunesse, avec la Phantasy for oboe and string trio Op.2 ou encore les Six Metamorphoses after Ovid Op.6. À une période où il écrit beaucoup de musique pour la scène et le cinéma, il donne dans ces variations toute la mesure de sa verve dramatique. Le décor est planté, inquiétant et presque menaçant, dès le thème initial. C'est une musique vivante, alerte et découpée en modules quasiment cinématographiques : nous suivons une action imaginaire dont le hautbois serait le héros (cf. Exercises). Ailleurs Britten sait faire retomber la pression et construit avec Chorale un bref moment de grâce où le hautbois n'intervient que par touches chirurgicales sur un bouleversant tapis de cordes.
A Charm of Lullabies est un cycle de chansons pour mezzo-soprano et piano composé par Britten en 1947 alors qu'il sortait du succès de l'opéra Albert Herring. L'œuvre a d'ailleurs été composée pour la mezzo Nancy Evans qui fut la créatrice du rôle de Nancy dans l'ouvrage cité. C'est une succession de berceuses, parfois très douces (The Nurse's song), parfois plus violentes (A charm). Pas de quoi endormir un enfant, mais bien de quoi séduire les fans de Britten qui retrouveront toute sa verve des années 1947-50, et repéreront ça et là des préfigurations de l'univers ambigu du Turn of the Screw, où les enfants sont parfaitement réveillés et plus très innocents. L'orchestration de Matthew donne à ce cycle de berceuses une ampleur magnifique et la mezzo Catherine Wyn-Rogers, spécialiste de la musique vocale anglaise, est assez bouleversante, notamment dans The Nurse's song. En dehors de ces deux raretés nous sont proposés trois œuvres plus connues. D'abord le Lachrymae Op.48a de 1976 pour orchestre et violon alto concertant. Il s'agit de la version orchestrale réalisée par Britten lui même, au soir de sa vie, d'une pièce des années cinquante pour alto et piano, écrite comme une récréation durant la composition éreintante du marathon opératique Billy Budd. Il s'agit d'une méditation subtile sur une chanson de Dowland où l'alto – qui était le premier instrument que le petit Benjamin avait eu entre les mains quand il était enfant – parcourt de multiples variations très brèves, ne dépassant que rarement la minute. À l'alto, Philip Dukes maintient la pression dramatique nécessaire jusqu'à la très virtuose variation finale qui clôt l'œuvre en beauté.
On sait la passion de Britten pour la musique folklorique britannique : elle s'est exprimée par la composition d'un nombre important de folk songs, essentiellement pour voix et piano. La folk song accompagna toute sa vie : depuis les innombrables récitals à travers le monde avec le ténor Peter Pears, où depuis le piano il essaimait la bonne parole de la musique traditionnelle anglaise, jusqu'à la composition de ses œuvres les plus personnelles – où sont très fréquemment présents des motifs folk anglais. En 1974 il compose une suite orchestrale d'un peu moins de quinze minutes : Suite on English Folk Tunes Op. 90 « A time there was… ». Il fut un temps, en effet… On retrouve dans cette brève suite pour orchestre toute la richesse d'un univers musical géographiquement ancré, voire carrément roots ; Britten nous donne une magistrale leçon de nostalgie, et l'on se prend à avoir le mal d'un pays qui n'est pas le nôtre… Bedford est admirable de finesse à la tête du Nothern Sinfonia, notamment dans Lord Melbourne.
Le disque est complété par un enregistrement intéressant de la très classique Simple Symphony for Strings Op.4 composée en 1934 – mais on préférera tout de même Britten lui-même à la tête de l'English Chamber Orchestra, pour plus de candeur et une ampleur orchestrale moins timide (Decca 417 509-2). Notons l'excellente qualité de cet enregistrement numérique de la fin des années quatre-vingt dix, accompagné d'un livret en anglais qui comporte les textes de A Charm of Lullabies.
FXA