Chroniques

par laurent bergnach

Christian Wasselin
Erik Satie

Éditions Gallimard (2025) 352 pages
ISBN 978-2-07-299389-3
Pour Gallimard, Christian Wasselin raconte la vie d'Erik Satie

Dans les dernières lignes de la biographie qu’il lui consacre, Christian Wasselin pose la question : « fallait-il écrire un livre de plus sur Satie ? ». Non, assurément, car l’écrivain et musicographe s’avoue impuissant, au bout du compte, à percer le mystère que le musicien incarne à ses yeux – mystère, d’ailleurs, en grande partie dissipé grâce au travail remarquable d’Ornella Volta, pendant trois décennies (ouvrages de vulgarisation, création de la Fondation Erik Satie ou encore contribution à l’ouverture des Maisons Satie dans sa ville de naissance, Honfleur). Une autre réponse est néanmoins possible : « Oui, pour faire quelques pas avec lui d’Arcueil à Paris et retour ». Tope-là, la balade est acceptée !

Comme tout le monde, Satie (1866-1925) a commencé par ne porter ni melon, ni parapluie. Difficile de le repérer dans la foule, sauf à consulter ce signalement du 33e régiment d’infanterie d’Arras où il effectue un bref séjour, persuadé de pouvoir tenir trois ans comme enrôlé volontaire : « Cheveux et sourcils châtain foncé ; yeux gris (pommelés, probablement) ; front couvert ; nez long ; bouche moyenne ; menton large ; visage ovale. Taille : 1 mètre 67 centimètres ». Cet épisode militaire trouve sa place entre les années d’ennui au conservatoire (1879-1886) et celles d’émancipation au Chat Noir, dont il adopte le style bohême. Il piétine ses vêtements puis cesse de soigner et de couper ses cheveux, ainsi que le rapporte l’ami Contamine de Latour, dans un portrait intime.

Au Chat Noir, célèbre cabaret d’un Montmartre villageois, Satie joue du piano quand il ne dirige pas un petit ensemble, voire un chœur, pour accompagner le théâtre d’ombre d’Henri Rivière [lire notre chronique du 27 janvier 2005]. S’il n’est pas là, on le trouvera sans doute à l’Auberge du Clou ou à La Nouvelle Athènes où il rencontre respectivement Debussy, devenu un ami, et Ravel, devenu un repoussoir. Pas là ? Sans doute fait-il écouter ses chansons récentes à Paulette Darty (Je te veux) et Jane Bathori (Le Chapelier), ou déjeune-t-il chez un proche conscient de sa dèche. Toujours pas là ? Alors essayons de repérer sa silhouette de notaire (dixit Auric) ou d’instituteur (Stravinsky) au patronage laïque d’Arcueil (1908), lors de cours de solfège gratuits, ou au tribunal (1917), face à un critique virulent.

Avant de le distinguer dans le film imaginé par Picabia pour servir d’entracte au ballet Relâche (1924), on l’aperçoit en train de composer au pied de l’obélisque de la Concorde, lors d’un bombardement de nuit par un Zeppelin (1916). Si c’est bien lui, profitons-en, car ce n’est pas dans son dernier appartement qu’on le verrait travailler sur les déroutants Parade (1917) et Socrate (1920), après des études reprises à la Schola Cantorum (1905-1908), ou réfléchir au concept de musique d’ameublement ! En effet, il faut attendre le décès de l’homme-sphinx, dévoré par la fée Verte, pour en découvrir les pièces poussiéreuses, avec ces deux pianos ligotés dont héritent Braque et Derain. La balade s’achève donc à l’hôpital Saint-Joseph où Étienne de Beaumont, mécène fidèle aux artistes, dispose d’une chambre à demeure.

Dans les dernières lignes de notre chronique, posons cette question : fallait-il que Christian Wasselin écrivît ce livre sur Satie ? Non, assurément, car d’aucuns, pianiste (Horvath) ou metteuse en scène (Mélinand), se penchèrent avec moins de réserve sur les notes et les mots du compositeur [lire notre critique du DVD et notre chronique du 7 avril 2016]. Mais oui, finalement, si l’on cherche un biographe honnête qui aborde l’idole avec un rabot, à l’instar d’un Sauguet cité dès l’avant-propos – « Son génie le rapproche davantage du chat que du lion ». Satie aurait-il pu faire plus, sinon mieux, s’il n’avait gaspillé son temps en ruminations et chicaneries ? N’est-il pas devenu à la mode, puis populaire sans lien réel avec sa valeur musicale ? Gênant pour les aficionados, ce questionnement s’affiche avec courage au fil d’un livre fort instruit du paysage social et artistique au seuil des Années Folles.

LB