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Chroniques
Johann Sebastian Bach
Concerto en ut mineur BWV 1060 et nombreuses transcriptions
Sous les tilleuls… ainsi s’intitule le CD des claviéristes Loris Barrucand et Clément Geoffroy, enregistré à l’automne 2023 en la Chapelle des Sœurs Noires, à Mons, et paru l’année suivante sous label L’Encelade. Unter den Linden, donc… mais non, n’allons point chercher du côté de l’université Humboldt, créée soixante ans après la disparition de Johann Sebastian Bach : c’est aux concerts d’été du Collegium Musicum de Leipzig qu’il est ici fait allusion, durant lesquels les musiciens s’exprimaient sous les branches qui, malgré l’avancée de la saison, embaumaient peut-être encore en ces fins d’après-midi où le soleil en confiturait les fleurs. Il se trouve que dix ans durant, Bach dirigea le Collegium Musicum que Telemann, encore étudiant, avait fondé dans la cité saxonne dès 1702. Et là durent sonner, entre autres pages du maître, quelques-uns de ses concerti pour le clavecin ou pour les clavecins puisqu’à cette période (1729-1739) il en écrivit pour un, deux, trois et même quatre de ces instruments. « Si l’on peut concevoir que des concerts avec trois ou quatre clavecins ont dû être assez exceptionnels, il est difficile d’imaginer qu’en l’espace de six cents concerts seuls trois œuvres pour deux clavecins ont été jouées », suggère Clément Geoffroy (notice du disque) ; « alors quels programmes pour cet effectif ont-ils été proposés au public […] ? C’est ce que nous avons souhaité imaginer ».
De ce vœu naquit le passionnant menu d’un peu moins d’une heure dont notre équipe est très heureuse de saluer la grande qualité artistique et l’initiative originale par un A! (par lequel notre média distingue environ trois fois par an une parution discographique). Outre de faire entendre, dans une interprétation autant sensible que magistrale, le Concerto en ut mineur BWV 1060 donné « pour la première fois au disque sans orchestre », Loris Barrucand et Clément Geoffroy se sont aventurés avec succès à transcrire, pour le duo qu’ils forment depuis 2014, deux des très nombreux concerti que Bach réalisait à Weimar, au cœur des années dix du Grand Siècle, à partir d’originaux italiens. Ainsi goûtons-nous avec bonheur leurs adaptations merveilleusement sonnantes du Concerto en ré mineur BWV 596 et du Concerto en la mineur BWV 593, initialement conçus pour l’orgue d’après deux des douze concerti violonistiques à constituer L’estro armonico que Vivaldi publiait en 1711. De l’indicible fraîcheur de ces pages rien n’est perdu dans cette version dont surprennent positivement une certaine opulence de la sonorité ainsi qu’une souplesse salutaire dans l’articulation, les musiciens prenant ici le temps d’écouter la courbe de ce qui sous leurs doigts se produit, et même d’écouter le silence – ce n’est en rien contredire l’ostensible gloire de la Fuga (BWV 596),par exemple, ou d’allegri bondissants. Sans trainasser jamais, l’Adagio (BWV 593) gagne une vertueuse expressivité, comme méditant en amont l’urgence tragique du mouvement final.
Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit BWV 106, cantate qui vit le jour dans la décennie précédente et aussi connue sous son appellation d’Actus Tragicus, est introduite par une Sonatine en mi majeur. Barrucand et Geoffroy, qui ont respectivement choisi un instrument d’Émile Jobin (1983) et un de Jean-François Chaudeurge (2014), tous deux réalisés d’après des clavecins du facteur parisien Jean-Claude Goujon, signent une lecture lumineuse de leur efficace transcription. Si, moins heureuse, la présente version du Pedal-Exercitium BWV 598 convainc peu, le choral Zion hört die Wächter singen qui puise dans la cantate Wachet auf, ruft uns die Stimme BWV 140, créée à Leipzig en 1731, est une indéniable réussite, et plus encore la version soigneusement ciselée du fameux Nun komm, der Heiden Heiland BWV 659, choral orné destiné à l’orgue mais que le compositeur a maintes fois convié par ailleurs dans son œuvre. Finissons le voyage avec l’obsédante Passacaglia BWV 582, avec son ostinato invasif, sans doute le plus mystérieux joyau de cet enregistrement (dédié à la mémoire du jeune théorbiste Nicolas Wattinne qu’emportait la montagne au 28 décembre 2023), dont il faut aussi féliciter la maîtrise d’ouvrage en la personne de Mathilde Genas qui en assura la prise de son et le montage.
BB