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Chroniques
Juliusz Zarębski
Quintette avec piano en sol mineur Op.34
Connaissez-vous Juliusz Zarębski ? Non ? N’en rougissez pas : il est si peu joué que la chose paraît bien normale. Encore s’agit-il d’un pianiste virtuose qui commence sérieusement à composer à l’âge de vingt-quatre ans (1878) et meurt de tuberculose sept années plus tard : autant dire qu’il n’eut guère le temps de s’accomplir au fil d’un catalogue évolutif.
C’est juste après un épisode qui pourra nous étonner mais dont son temps fut cependant friand que Zarębski concentra son talent sur la composition. De quoi s’agit-il ? Henryk Wieniawski, autre Polonais virtuose (du violon, cette fois) et ô combien célèbre, avait un petit frère prénommé Józef qui fit carrière au clavier, principalement comme professeur recherché. En 1876, voici qu’il invente un nouvel instrument : un piano à deux claviers montés en sens opposé. De quel animal parlons-nous ? En fait, l’un des claviers affiche ses graves à gauche et ses aigus à droite, comme d’habitude, tandis qu’un second clavier s’organise à l’inverse, ce qui aurait permis, prétendit-on, d’utiliser le même doigté aux deux mains dans les passages doublés, ce qui revenait à inventer plus qu’un nouvel instrument mais aussi une conception symétrique du doigté plutôt que parallèle. Cet engin – assez rapidement, il rejoignit les innombrables curiosités de ce genre que généra le dernier tiers du XIXe siècle – fut présenté à Paris devant cinq mille personne, lors de la troisième Exposition Universelle : les doigts étaient alors ceux de Juliusz Zarębski qui, pour le vaincre, avait dû reconsidérer toute sa technique de longues semaines durant (tout ça pour ça…). Du jour au lendemain, Zarębski devient célèbre grâce à cette bizarrerie qu’il abandonna aussitôt à son triste sort (après en avoir honnêtement réitéré l’exhibition à Varsovie et Londres).
Étrangement, si cette aura nouvelle lui vaut de nouveaux engagements de concerts en Europe occidentale (il jouait surtout en Ukraine, en Russie, en Pologne, en Autriche), Juliusz Zarębski s’intéresse dès lors plus à sa création de compositeur qu’à sa carrière de virtuose. On ne peut s’empêcher de songer à Liszt, son vieux maître (il était allé suivre ses conseils à Rome), auquel il ne fut d’ailleurs guère pardonné de délaisser les rodomontades digitales qu’on attendait encore de lui. À vingt-quatre ans, le Polonais écrit, en toute logique, des pièces pour piano. En 1880, il présente une Grande Polonaise d’une facture encore proche de Chopin. Trois ans plus tard, il signe un recueil de pièces dont le style cède moins à l’auto-complaisance d’un interprète admiré : certaines audaces expressives et harmoniques de Les roses et les épines révèlent ainsi leur contemporanéité avec les pages « aquatiques » de Liszt, par exemple, tout en annonçant timidement certaines œuvres de Debussy (qui n’a que dix-huit ans et n’en est certes pas encore là). Enfin, de janvier à mars 1885, surgit son Quintette à cordes avec piano, créé un mois plus tard à Bruxelles.
Bartłomiej Nizioł, Agata Szymczewska (violons), Lyda Chen (alto) et Alexandre Neustroev (violoncelle) s’associent à Martha Argerich dans ce concert filmé au Festival international Chopin et son Europe ; nous sommes à la Philharmonie de Varsovie, le 17 août 2011. La fameuse pianiste ouvre discrètement le jeu, dans un murmure où la lumière du premier violon véhicule bientôt une élégie au caractère populaire. L’œuvre s’avère dûment structurée, tout en entretenant un suspens à l’écoute en n’obéissant pas docilement à la convention même dans laquelle elle se place pourtant. Le thème cantabile gagne une véhémence passionnante, que rehaussent des échanges plein de relief. Argerich semble cependant un rien brutale, comme si elle cherchait à imposer son piano dans une page qui évite soigneusement de lui faire jouer un rôle trop prégnant. Le trait de violoncelle est exquisément donné, ainsi que le relais modulant qui le suit au violon. À cette fraîcheur de l’interprétation suit l’oscillation hésitante d’un Adagio énigmatique où croisent Schumann et Fauré. Du modèle allemand Zarębski s’éloigne : la partie centrale bat la chamade du côté de Dvořák – sur ce point, regrettons que Martha Argerich s’obstine dans Rachmaninov. L’épisode se referme sur la reprise de ses premiers pas. Scherzo bondissant, ensuite, pour ne pas dire emporté, appelant une exécution fort contrastée. La verve est lisztienne, quoiqu’avec des couleurs plus « modernes » (recours aux harmoniques du quatuor, par exemple), jusqu’au canon semi-fugué qui avorte. Après un long moment lyrique en partage, la reprise déguisée du scherzo est une merveille d’inventivité : non, ce n’est pas la conclusion du troisième mouvement, mais l’amorce du Finale ! À la mélodie se tissent bientôt les rappels des autres motifs qui ont traversé l’œuvre précédemment, alternant les caractères dans un enthousiasme primesautier au gré d’une habile imagination rythmique, un brin rhapsode, peut-être.
Si l’on goûte l’œuvre grâce à une interprétation inspirée, un reportage sur le compositeur aurait pu en avantager l’approche. Julius Zarębski mourut cinq mois à peine après la création de son Quintette avec piano qui ne fut publié que bien plus tard et demeure encore aujourd’hui une rareté absolue. Gageons que ce DVD, outre d’être un bel hommage au musicien, saura donner l’envie à certains de s’y atteler.
BB