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Chroniques
Luigi Manfrin
Fausto Romitelli – Professor Bad Trip
Voilà dix ans, Hermann Éditeurs faisait paraître une étude collective abordant l’œuvre de Fausto Romitelli (1963-2004). Une douzaine de contributeurs écrivirent sous la direction d’Alessandro Arbo, lequel livrait pour sa part un texte intitulé Écouter avec les images. Outre relater une rencontre avec le compositeur alors au travail dans la maison de ses parents, Arbo y affirmait que « l’ouverture vers des espaces imaginaires était un des principes de son credo poético-musical ». Et l’enseignant et chercheur à Strasbourg d’ajouter que le titre de ses créations, toujours « suggestif, provocateur ou surprenant », servait d’accès à des voyages très souvent psychédéliques : Have your trip (1989), Acid Dreams & Spanish Queens (1994) et bien évidemment Professor Bad Trip (1998-2000) [lire notre critique de l’ouvrage].
Aujourd’hui, pour analyser cette pièce en trois parties, voici un autre enseignant qui eût la chance d’approcher le créateur trop tôt disparu : le compositeur, philosophe et musicologue Luigi Manfrin (né à Melbourne, en 1961), élève de Donatoni devenu professeur au Conservatoire Jacopo Tomadini d’Udine.
Si le titre de Professor Bad Trip fait directement référence au pseudonyme souvent utilisé par le graphiste et bédéiste Gianluca Lerici (1963-2006) – imagination « psycho-paranoïde » et univers « cyber-techno-punk » ! –, Manfrin souligne d’emblée d’autres sources d’inspiration revendiquées par Romitelli, tels les ouvrages d’Henri Michaux témoignant de la prise de drogues hallucinatoires ou encore un célèbre autoportrait de Francis Bacon en trois études.
Également nourri par les structuralistes français (Barthes, Genette) et leurs compatriotes musiciens (Dufourt, Grisey), c’est en pourfendeur de l’académisme que Romitelli, via les leçons de son Professor rebelle, invite à « dépasser le son castré et cérébral de la production musicale contemporaine, historiquement formalisé dans l’idée d’un matériau musical purifié, mais désormais exsangue, privé de corps et de chair ». Lui-même donne l’exemple en privilégiant, avec une violence ironique, un son amplifié et distordu, un timbre impur où fusionnent, par exemple, guitare électrique, synthétiseur (SY 99) et électronique, saupoudrés de kazoo et de guitar pitch pipe. Le déphasage et la boucle ont aussi leur rôle à jouer, moins anodin qu’il y paraît de prime abord.
Grâce aux archives de la Fondation Giorgio Cini (Venise) – dont une copie du contenu de l’ordinateur de Romitelli (un Mac classique de 1991) –, Luigi Manfrin livre une analyse rigoureuse et documentée, illustrée par de nombreux exemples. S’y mêlent quelques brouillons, émouvants, annotés par le natif de Gorizia.
LB