Chroniques

par laurent bergnach

Martin Kaltenecker
L’expérience mélodique au XXe siècle

Éditions Contrechamps (2024) 392 pages
ISBN 978-2-940068-71-5
L’expérience mélodique au XXe siècle, un ouvrage signé Martin Kaltenecker

S’il enseigne actuellement l’esthétique musicale et la musique du XXe siècle à l’Université Paris Cité, Martin Kaltenecker est surtout connu pour de nombreux ouvrages centrés sur l’écoute, et en particulier celle des arts novateurs de Schaeffer et de Lachenmann. Aujourd’hui, il se penche sur la notion de mélodie, avec l’ambition de l’associer à autre chose qu’à l’inspiration. Reposant sur trois parties de proportions variées – les deux premières, Perspective systématique et Perspective historique, en représentent à peine un cinquième –, son ouvrage propose une histoire de la musique moderne et contemporaine à travers ce prisme précis.

Avec concision, Martin Kaltenecker recense d’abord différentes approches – harmonico-phrastique, neumatique, gestaltique, énergétique et thymique (éventuellement combinables) –, que privilégie l’un ou l’autre des traqueurs du mystère mélodique. Sans même évoquer les nombreux musicologues au travail, on découvre Vincent d’Indy s’intéressant à l’accentuation plutôt qu’à l’accessoire ou Ernest Toch isolant la courbe mélodique classico-romantique et ses points culminants. Quittant au fil du temps son sens premier (beau, harmonieux), le mélodieux désigne bientôt, dans le chant, la voix première. Son but est d’émouvoir l’auditeur et, pour se faire, de privilégier des qualités primordiales (simplicité, clarté, fluidité, amabilité, etc.). L’ornement, l’innovation sont déconseillés, au profit d’une expression qui fait mouche. Dans leur Rossini (1854), les frères Escudier l’écrivent hardiment : « sans la mélodie, la musique est le plus intolérable des tumultes ».

Et pourtant, Wagner s’impose, avec ses entrelacs de Leitmotive, et bouleverse une culture lyrique mélo-centrée, dissolvant l’objet clos qui en était l’emblème – « C’en est fini des jolies mélodies » (1879). C’est une époque où Debussy désoriente par une absence quasi-totale de phrases chantantes, par des mélodies avortées. Nous sommes à la fin du XIXe siècle et l’harmonie tend à prendre le pas sur l’air qu’on mémorise sans effort – à l’exception notable de Mahler, avec ses thèmes ramassés « sur le trottoir » (dixit Hugo Wolf).

Intitulée Parcours, la troisième partie de l’ouvrage débute avec les novateurs de la Seconde École de Vienne (Schönberg, Berg et Webern), Stravinsky et Varèse, illustrant différentes notions de mélodies présentées (atonale, dodécaphonique, abeille et anecdote. L’aphorisme, plutôt que l’élan, en paraît l’essence – puisque, selon l’auteur d’Amériques, « les airs sont les papotages de la musique ». L’entre-deux-guerres est une période de réaction, liée au contexte politique : on encourage le retour à la ligne, la clarté mozartienne, le chant choral qui dissout les identités dans une communion folklorique – au travail archaïsant d’un Carl Orff (Carmina Burana), apprécié par les tenants de la race aryenne, s’opposerait d’ailleurs le chant ouvrier d’Hanns Eisler (Das Einheitsfrontlied). Le religieux est aussi de retour, associé à la magie (Jolivet) ou à la louange (Messiaen).

Dans ces colonnes, nous avons présenté bien des ouvrages explorant les dix décennies musicales du siècle dernier [lire notamment nos critiques de ceux de Jean-Yves Bras, de Guillaume Kosmicki et de Jean-Noël von der Weid]. C’est sans surprise que nous retrouvons, au terme de la Seconde Guerre mondiale, les plus notoires promoteurs d’expériences associés aux académies d’été de Darmstadt : Boulez, Stockhausen et Nono. La complainte du lézard amoureux, Momente et ou encore Canto sospeso sont soumis à de courtes analyses comme l’auteur en a livrées tant d’autres depuis l’avant-propos.

L’âge d’or des avant-gardes cède ensuite le pas au post-modernisme, proposant de nouvelles directions, entre Neue Einfachheit (Rihm, etc.) et New Complexity (Finnissy, etc.), tels le statisme (Feldman, etc.) ou le spectralisme (Grisey, etc.). On découvre alors des compositeurs s’intéressant davantage à la texture qu’à la structure. L’ère du son ne renie pas la mélodie – en faisant « un objet qui émerge, qui se profile, qui surgit » –, et moins encore l’ère de la boucle – « la mélodie sous l’emprise du rythme ». Avec la fin du XXe siècle, et donc de son ouvrage magistral, l’auteur confie au lecteur ses ultimes analyses, exemples à l’appui (Adams, Harvey, Pesson, Poppe, Saunders, Schöllhorn, etc.).

LB