Chroniques

par laurent bergnach

Maxime Margollé
L’opéra-comique et la Révolution française

Hermann Éditeurs (2025) 424 pages
ISBN 979-1-0370-4417-4
"L’opéra-comique et la Révolution française", un ouvrage de Maxime Margollé

Docteur en musicologie, spécialiste de la musique française des XVIIIe et XIXe siècles – et plus particulièrement de l’enseignement de la composition, durant cette période –, Maxime Margollé s’intéresse ici aux évolutions esthétiques de l’opéra-comique entre le début de la Révolution et la réunion des théâtres Favart et Feydeau, en 1801. Sur le sujet, les études universitaires ne manquent pas, mais elles sont difficilement accessibles, parfois même aux chercheurs. C’est dire, d’emblée, que cet ouvrage sous-titré Effervescence et création musicale entre les Lumières et le Romantisme comporte des données précieuses, sinon inédites.

Plus d’un siècle avant la prise de la Bastille, l’opéra italien domine les cours d’Europe, jusqu’à ce que le librettiste Jacques Perrin, avec sa pastorale Pomone (1671), signe la naissance du théâtre lyrique français [lire notre critique de ses mémoires imaginaires]. Un goût pour le genre élevé, le ballet et le faste visuel en font la singularité. Mais durant cette fin de XVIIe siècle, d’autres spectacles attirent le public parisien : ceux des foires (Saint-Germain, Saint-Laurent), avec d’abord danseurs de corde et marionnettes, puis de petites comédies très prisées, au point d’inquiéter la Comédie-Française et l’Académie royale de musique. En difficulté financière, cette dernière va louer aux acteurs de foire le droit de chanter. Ainsi naît l’opéra-comique, un genre où alternent épisodes parlés et chantés (« vaudevilles, chansonnettes, et airs détachés »), lequel va donner son nom à une institution à l’essor chaotique (1714), et conduire à l’ouverture de la salle Favart (1783). Le genre est si populaire qu’il est aussi défendu par la troupe du Théâtre de Monsieur (1789) que le frère puîné du roi installe finalement rue Feydeau (1791) – rien à voir avec Georges : c’est une famille de juristes du XVIIe siècle que célèbre cette voie. Avant la fusion de 1801 évoquée plus haut, la concurrence s’annonce rude entre un théâtre riche de son répertoire et un autre contraint à l’innovation.

Lorsque survient la Révolution, l’insouciance et la légèreté tendent à disparaître de la scène au profit d’œuvres de circonstance qui brocardent l’Ancien Régime, favorisant les sentiments patriotiques (Le retour du Champs de Mars, etc.) et anticléricaux (Rigueurs du cloître, etc.). Dans des scènes parfois violentes, on célèbre les martyrs (Agricol Viala, etc.) et les séquestrés (Léonore, Lodoïska, etc.) [lire nos critique du DVD et du CD]. De fait, l’arrivée de la Génération de 1760 (Cherubini, Le Sueur, Méhul, Berton) va guider l’opéra-comique vers des sujets autrefois réservés à la tragédie – Médée (1797) illustrant parfaitement une volonté d’hybridation. Cette poignée de compositeurs boudée par l’Académie y introduit une force et un dynamisme inédits qui annoncent le Grand Opéra. Malgré les critiques de Grétry – qui parle de musique « à coups de canon » –, la concurrence d’une trentaine de spectacles à Paris, les chahuts de révolutionnaires en salle et même l’exécution de certains artistes, le théâtre Favart survit aux excès de la Terreur. La comédie de mœurs ou parodique peut alors faire son grand retour.

Impossible de dire toutes les richesses que rassemble Maxime Margollé, qu’on sait fort investi dans la période [lire notre chronique de Stratonice] – migration de troupes d’un théâtre à l’autre, carrière de plusieurs chanteurs-vedette, création du Conservatoire de musique (1795), etc. Ses tableaux, qui soulignent l’évolution du répertoire ou l’impact d’une partition originale sur les recettes, n’en sont pas les moindres. Peut-être pourra-t-on reprocher à l’auteur une tendance excessive au rappel d’informations, que d’aucuns prendraient pour une insulte à la mémoire du lecteur ; mais enseigner c’est répéter – ne l’oublions pas –, et c’est bien pour apprendre que nous ouvrons son ouvrage.

LB