Chroniques

par laurent bergnach

ouvrage collectif
Claude Debussy d’hier à aujourd’hui

Société française de musicologie (2025) 382 pages
ISBN 978-2-85357-281-1
Claude Debussy d’hier à aujourd’hui : édition des actes d'un colloque de 2018

« Je travaille à des choses qui ne seront comprises que par les petits-enfants du XXe siècle », écrivait à Pierre Louÿs, en 1895, Claude Debussy (1862-1918). Pour la descendance en question, si les innovations du musicien ont été largement assimilées au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le centenaire de sa disparition est une occasion particulière d’en évaluer l’héritage. Édité sous la direction de Jean-Christophe Branger, Nicolas Moron, Juliana Pimentel et Caroline Rae, le présent ouvrage rassemble les actes d’un colloque international tenu à Metz les 25 et 26 septembre 2018 – colloque qui mêla conférenciers et artistes, puisque Françoise Masset et Anne Le Bozec redonnèrent vie à un Pierrot lunaire hongrois que nous évoquerons plus loin.

L’œuvre-maîtresse de Debussy, c’est bien sûr Pelléas et Mélisande, présenté le 30 avril 1902, à l’Opéra Comique. Dans cette salle Favart qui souhaite rompre avec l’opéra académique, l’ouvrage rejoint d’autres créations récentes du genre onirique (ou symboliste), en opposition aux genres naturaliste (ou réaliste) et surtout wagnérien – pour illustrer chacun de ses courants, durant la seule année 1897, citons Kermaria (Erlanger), Messidor (Bruneau) et Fervaal (d’Indy). De ce deux derniers musiciens, nombre de citations viennent enrichir un article consacré à la réception de Pelléas…, dans le contexte de luttes intestines parmi l’avant-garde [F. de Médicis]. Ce chef-d’œuvre – et la ville de Metz ! – se retrouve au cœur d’un article traitant d’une production de 1962 dont les décors et les costumes, fondés sur la lumière et la transparence, furent confiés à Jean Cocteau, génie polymorphe à la veille de rester-avec-nous [D. Escande].

Bien sûr, Debussy ne doit pas sa célébrité à la seule fréquentation de Maeterlinck. Réunis dans la partie Études génétiques, voici une analyse des différentes esquisses de Feux d’artifice, brillante apothéose aux Préludes, et de tout ce qu’elles disent d’un Debussy au geste sûr, coloriste et rythmicien [F. Delécluse] ; puis un examen des corrections bienveillantes – principalement sur les accents prosodiques – apportées aux six mélodies formant le Pierrot lunaire (1909) de son jeune confrère hongrois Géza Vilmos Zágon (1889-1918) [D. Herlin] ; ainsi que la genèse détaillée d’un projet inabouti : adapter As you like it (Comme il vous plaira), la comédie pastorale de Shakespeare (1599), avec l’aide du poète Paul-Jean Toulet [G. Elgarrista].

Dans Debussy jugé par ses pairs, Vincent d’Indy réapparaît, à la tête du triumvirat à l’origine de la Schola Cantorum, en 1896. Soucieux de tradition, le cercle scholiste rejette d’abord l’impressionniste – pourtant reconnaissant d’y entendre Palestrina, Campra ou Rameau –, jusqu’à cette soirée de 1904 célébrant uniquement des pages signées Debussy et d’Indy. Désormais, ce dernier joue son cadet dans nombre des concerts qu’il dirige à l’étranger [S. Etcharry]. Pour l’Italie fasciste (1922-1943) précédant l’Allemagne, il faut redouter les influences nuisibles. Pourtant, des compositeurs comme Malipiero et Casella osent saluer l’art du Français [M. Bottaro]. Enfin, cette partie du recueil rassemble les jugements de Prokofiev, entre admiration et rejet [N. Moron], et ceux de Boucourechliev qui synthétise les louanges de sa génération sur la modernité de son devancier, à la vertu émancipatrice [F. Balanche].

Lorsque la France découvre le jazz, certains en applaudissent la force, propre à faire oublier l’évanescence de Claude. Or, nulle cohabitation est impossible, voire des tentatives de fusion. En 2018, Enrico Pieranunzi et Hervé Sellin, deux musiciens formés au conservatoire mais happés par le jazz, revisitent chacun à leur manière le répertoire debussyste [V. Cotro]. Ce dernier nourrit à son tour une pop music à l’ère de l’échantillonnage numérique, de façons variées. Par exemple, les mêmes mesures d’Arabesque n°1 serviront juste de pont dans tel hit, alors qu’elles sont la fondation rythmique de tel autre. Ici, une chanteuse met des paroles originales sur Clair de lune, joué en entier, tandis qu’ailleurs un DJ ou un rappeur trouve dans Syrinx matière à contraste ou osmose [J. Pimentel].

Terminons avec les quatre articles en langue anglaise, travaux de musicologues férus de musique française, pour la plupart. Par crainte d’une mauvaise interprétation des contenus, il ne sera fait mention que de leurs titres (dans notre traduction) et de leurs auteurs : Fluctuations de tempo micro et macro dans Sirènes [S. Tresize], Interprétation et style dans les enregistrements 78 tours des pièces pour piano [C. Rae], Jouer Debussy en France pendant la Grande Guerre [B. L. Kelly] et Le moderniste serein : Debussy à Madrid (1890-1914) [F. Parralejo Masa].

LB