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Chroniques
Paul Arma
pièces avec piano
Citoyen et artiste multiple, Paul Arma (1904-1987) l’est d’abord par son patronyme, puisqu’il naît à Budapest sous celui d’Imre Weisshaus, dans une famille de la petite bourgeoisie juive de l’Empire austro-hongrois. Comme souvent avec les élèves peu assidus, une rencontre va changer sa vie : durant l’année 1920, la découverte de Bartók est un déclic qui le décide à tenter le concours d’entrée à l’Académie Ferenc Liszt. Accepté dans l’institution, il va étudier avec ce maître qui développe en lui l’amour du chant populaire et du folklore, mais aussi une grande curiosité pour la musique savante européenne, de Frescobaldi à Honegger. Malheureusement, le jeune musicien est exclu de l’institution quatre ans plus tard, dans un pays dont se dévoile le fascisme et l’antisémitisme. Commence alors une période d’exil, aux États-Unis puis en Allemagne, durant laquelle il fréquente les avant-gardes artistiques et les groupes communistes, approchant Henry Cowell, Hanns Eisler, l’équipe du Bauhaus, etc.
Début 1933, les perquisitions nazies, ainsi que la confiscation de manuscrits, décident de son départ précipité pour la Suisse, puis pour la France. Officialisant sa nouvelle identité, il dirige des chorales populaires, travaille pour la Radio et met en musique les poètes militants. En 1939, l’annonce du Pacte germano-soviétique lui fait prendre ses distansces avec le Parti. Dans Paris occupé, il se distingue par son engagement dans la Résistance et par un travail d’harmonisation des chants populaires – créant, par exemple, le plus complet recueil de Noëls français – qui lui vaudra, après la guerre, un poste de chargé de mission sur le folklore de son pays d’adoption. Il y aurait tant d’autres choses à dire…
Avec la partie purement instrumentale de cette monographie, jouée sur un Stephen Paulello Opus 102, nous ne quittons pas la Seconde Guerre mondiale qui voit la naissance de Sonata da Ballo « d’après des thèmes populaires français » Op.71 (1939), en trois mouvements. Malheureusement, une prise de son favorisant une aura exagérée et le relief du mécanisme gâche grandement le plaisir de découvrir ces pages quasi-inédites. Trois épitaphes Op.115 (1945) rend hommage au récents disparus, le pacifiste Romain Rolland (1944) et le maître-ami Béla Bartók (1945), sans oublier « ceux qui ne sont jamais revenus : mes amis torturés, massacrés », ainsi que s’intitule la partie centrale du triptyque. Là encore, la proximité des micros, sinon leur enfouissement, accentue la résonnance de pages magnifiquement dépouillées, à l’instar du glas récurrent. La fin de la guerre le voit revenir aux sources de sa jeunesse, avec une économie de moyens sensible dans Cinq esquisses d’après des thèmes populaires hongrois Op.117 (1946). Évoluant d’une nudité jamais austère vers une conclusion bondissante, ces quelques minutes laissent entendre des compatriotes (Kodály, Veress, etc.).
Poursuivons avec Chants du silence (1946) qui donne son titre à l’album, un cycle de onze mélodies sur des textes d’écrivains liés à la Résistance européenne (Aveline, Cassou, Clar, Éluard, Gevers, etc.). Les Mémoires du compositeur renseignent sur le choix du titre : « silence parce que la liberté doit s’exercer dans le silence prescrit et parce que la vie essayant de continuer, il faut chanter ce silence pour faire entendre la vie ». Le pianiste Thomas Tacquet [lire nos chroniques du CD Jean Cartan et de la représentation de Stratonice] est rejoint par Anne-Lise Polchlopek, mezzo-soprano à la voix souple mais à l’expression peu nuancée. À sa décharge, ce cycle se révèle assez terne et souvent lugubre. On la découvre toute différente dans Han Coolie ! (1933) qui clôt le programme, sur un texte signé Fritz Hoff et adapté par Aragon, à dénoncer l’exploitation agricole des Asiatiques. Le chant devient mordant et vindicatif, comme il sied à l’ardeur révolutionnaire.
LB