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Pierre Brunel
Pierre Boulez, une nouvelle écoute de la voix des poètes
Avec Pierre Boulez, une nouvelle écoute de la voix des poètes, Pierre Brunel s’attache à suivre les résonances littéraires dans l’œuvre du compositeur. L’ouvrage, bref et accessible, revient sur les poètes que Boulez a mis en musique ou fréquentés – par l’imaginaire : Mallarmé, Michaux, Cummings, Rimbaud, Eliot ; dans la vraie vie : Char et Bonnefoy. À travers eux, c’est une vision de la voix – suspendue, morcelée, désincarnée parfois – qui se dessine, en dialogue constant avec les exigences formelles du musicien.
Les pages les plus riches concernent René Char, poète d’élection pour Le visage nuptial, Le soleil des eaux et Le marteau sans maître, dont les vers deviennent autant de noyaux de condensation musicale. Puis vient Mallarmé, dans Pli selon pli, Livre pour quatuor ou la Troisième Sonate, cette œuvre ouverte qui épouse le modèle du Coup de dés et du Livre rêvé. L’auteur suit avec clarté les liens thématiques et formels entre poèmes et partitions, insistant sur les notions de polyphonie, d’enveloppe, de pli – autant de concepts transversaux dans la pensée boulézienne.
Si l’ensemble est élégant, il demeure en surface. Pour peu qu’il s’avère familier de Boulez et de sa constellation poétique, le lecteur n’y trouvera guère d’analyses neuves et encore moins d’audace. Trop souvent, Brunel se limite à rappeler ce que l’on sait déjà – les dates, les titres, quelques associations – sans creuser les enjeux esthétiques ni les mécanismes d’écriture. Ce manque d’approfondissement déçoit, d’autant que certains thèmes, comme l’écoute du silence, le traitement de la voix ou l’inachèvement formel, mériteraient d’être davantage pensés. On regrette également l’absence, sinon l’effacement, de figures majeures comme Kafka et Joyce, dont les œuvres jouèrent pourtant un rôle essentiel dans la formation intellectuelle et esthétique de Boulez. Leur influence ne fut ni anecdotique ni périphérique : Ulysse a nourri la conception formelle de la Troisième Sonate, tandis que Kafka, par la structure narrative fragmentaire et la tension intérieure, trouve des échos dans la pensée musicale du compositeur. Ne pas les évoquer, sous prétexte qu’ils ne sont pas poètes au sens strict, revient à appauvrir la carte mentale de Boulez, dont les lectures furent aussi complexes que sa musique.
Reste un petit livre clair présentant une synthèse utile à ceux qui découvriraient cette face littéraire du compositeur. Mais pour une véritable nouvelle écoute, envisageons d’encore prêter l’oreille ailleurs, du côté des textes de Boulez lui-même et des analyses plus exigeantes de sa musique et de ses lectures, ainsi que des ouvrages parus à l’occasion du centenaire de la naissance du maître [lire nos chroniques de ceux qu’ont signés Robert Piencikowski et Laurent Bayle].
BB