Chroniques

par katy oberlé

récital Sonya Yoncheva
Chopin – Delibes – Leoncavallo – Liszt – Offenbach – etc.

1 CD Naïve (2024)
V 8616
Chez George Sand, avec Sonya Yoncheva... mais aussi Musset, Chopin, etc.

Quel étrange disque que celui-ci, vraiment ! Le meilleur et le pire semblent s’y trouver réunis, dans un projet plutôt cohérent, toutefois. Peut-être vaudrait-il mieux taire notre avis et passer sous silence cette parution… eh bien, non, parce qu’au delà de ses maladresses qu’il faudra dire, le résultat reste globalement positif, avec de très belles choses, aussi paradoxal que paraisse la chose.

Régulièrement salué dans nos colonnes [lire nos chroniques de Dardanus, Agrippina, Il Flaminio, Otello, Iolanta, La traviata, Le nozze di Figaro, Iris, La bohème, Il pirata, Siberia, Gala Jonas Kaufmann et Chez Marie-Antoinette], le soprano bulgare Sonya Yoncheva affirme ici son affection de toujours pour George Sand, la célèbre auteure romantique française, trop souvent évoquée pour ses amours plutôt que pour son œuvre. Avec la complicité de la pianiste Olga Zado, elle présente un voyage dans le temps, à Nohant, à Paris, à Majorque. Sans délaisser le prisme de la vie sentimentale de l’écrivaine, Yoncheva s’emploie à l’élargir dans une perspective pleinement culturelle, cette fois. Et, tout naturellement, l’auditeur croise dans son GEORGE – le titre de l’album ; rien à voir avec la chanson de l’Allemande Pat Simon, rendue célèbre par une autre artiste bulgare, Sylvie Vartan ! – la musique de Ferenc Liszt, grand ami de Frédérick Chopin, celle de Pauline Viardot glissant des paroles sur des Mazurkas de ce dernier, celle d’Offenbach via l’opéra-comique Fantasio conçu à partir de la comédie d’Alfred de Musset, et ainsi de suite, dans un ballet de personnalités donnant le jour à ce salon romantique.

Alors, qu’est-ce qui ne va pas ?
Jusque-là, la chose paraît bien engagée… Nos réserves surgissent de quatre plages dans lesquelles Sonya Yoncheva décide qu’elle est aussi récitante et peut s’enregistrer disant des lettres de la rebelle baronne Dudevant, alias Aurore Dupin, lignes destinées à ses amants Musset et Chopin, ou encore à son amie la comédienne Marie Dorval, célèbre pour ses incarnations des héroïnes de Victor Hugo et d’Alfred de Vigny, entre autres, mais aussi du drame en cinq actes de Sand elle-même, Cosima ou La haine dans l’amour, qu’elle crée au Théâtre Français en 1840. Il faut avouer que la chanteuse, pour être, et c’est indéniable, bonne actrice à l’opéra, est parfaitement inefficace dans cet autre exercice. Il est probable que sa prestation pourrait passer dans le cadre d’un récital où le public s’en accommoderait comme d’une coquetterie relativement charmante, mais au disque, rien n’y fait. N’y voyons rien de catastrophique, au fond : depuis longtemps fut inventé un petit outil bien pratique, dénommé télécommande, dont une des fonctionnalités permettra de sélectionner les plages 2, 6, 10 et 15 pour n’en pas subir le désagrément.

Car le principal est dans tout le reste, à savoir onze moments musicaux dûment sélectionnés et servis avec un art évident et toujours gracieux. La judicieuse alternance de pièces de piano et de mélodies propulse clairement dans un salon dont la fête est ouverte par Casta diva, non la fameuse aria de la prêtresse gauloise de Bellini, mais la transcription pianistique de Chopin, ici donnée avec une douceur belcantiste à merveille. Le chant entre en scène avec Nuit de décembre, inspiré par les vers de Musset. La sensibilité interprétative et la générosité de timbre de Sonya Yoncheva confèrent à cette mélodie un intérêt qu’elle n’a pas vraiment. Et c’est également Musset qui a fourni à Léo Delibes de quoi composer Les filles de Cadix, une chanson espagnole en fa# mineur dont notre soprano se joue des vocalises avec un panache admirable.

Retour à Chopin et au piano tellement intime d’Olga Zado, pour le second des trois Nocturnes Op.9, puis l’allegretto imaginé par Offenbach pour le personnage de Fantasio dessine la ballade Voyez dans la nuit brune, livrée avec une subtilité un rien goualeuse. S’ensuivent un boléro de caractère, signé Pauline Viardot, Madrid, princesse des Espagnes, puis une Romance en la majeur, pièce d’ouverture des Six morceaux pour piano et violon que Viardot a composés pour son fils Paul – ainsi le violoniste polonais Adam Taubitz s’inscrit-il comme premier invité du programme. Puis Musset, encore et toujours, avec Ninon extrait des Romanze per canto e pianoforte de l’Italien Francesco Paolo Tosti. En 1864, Viardot écrit cette fois Douze Mazourkas de Frédéric Chopin sur des paroles imaginées par le peintre vosgien Louis Pomey, baryton à ses heures perdues et, surtout, ami du couple qu’elle formait avec Tourgueniev. Se succèdent ici la Huitième et la Sixième, soit Faible cœur d’après la Mazurka en fa mineur Op.7 n°3 et Séparation d’après la Mazurka en sol mineur Op.24 n°1, celle-ci en duo – saluons donc l’arrivée du second invité, le mezzo-soprano Marina Viotti [lire nos chroniques d’Il barbiere di Siviglia, Boris Godounov et Werther]. Après une très belle version du troisième Liebesträum de Liszt, le dernier mot revient à Pauline Viardot, avec Les bohémiennes, chantant à deux voix Plus vagabondes que les chèvres, un texte gentiment bête de Victor Wilder collé à l’une des vingt-et-une Ungarische Tänze de Brahms.

À découvrir !

KO