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Chroniques
récital Sylvia Sass
airs d’opéra
C'est avec plaisir que nous accueillons la réédition par Hungaroton d'une généreuse compilation d'airs d'opéra interprétés par le grand soprano hongrois Sylvia Sass. Dotée de moyens vocaux exceptionnels qu'elle ruina prématurément, la cantatrice traversa les années 1970-1980, comme un météore. Elle irradia de sa présence magnétique le Théâtre de l'Archevêché d'Aix-en-Provence, un soir de l'été 1976, pour une Traviata restée dans les mémoires comme une légende. Une nouvelle étoile de l'art lyrique était née, et cette Traviata mise en scène par Jorge Lavelli lui ouvrait, à 25 ans, les portes d'une carrière internationale.
Les scènes les plus prestigieuses du monde entier la fêtèrent les unes après les autres : Vienne, Londres, New York, Hambourg, Turin et Moscou, pour ne citer qu'elles. À son propos, la presse n'hésitait pas à parler de la Nouvelle Callas… Après la mort de la Divine en 1977, le monde lyrique en deuil n'eut de cesse de lui trouver une remplaçante ; en vain, bien sûr. Pourtant, Sylvia Sass partageait avec Maria Callas une affinité élective pour les mêmes rôles difficiles du répertoire italien. Comme son aînée, outre Violetta, elle incarna Tosca, Fedora, Leonora du Trouvère et une irremplaçable Médée, dont témoigne l'extrait du premier acte qui ouvre le CD (tiré de son intégrale pour le même éditeur, avec Lamberto Gardelli au pupitre, et le ténor Verriano Lucchetti en Jason). Un autre extrait nous prouve qu'elle fut, à son instar, une mémorable Lady Macbeth.
Grande et d'une beauté remarquable, elle était dotée, comme Callas, d'une forte présence scénique, et savait conquérir par un jeu de scène et une incandescence comparables. Mais comme elle aussi, Sylvia Sass fut imprudente, abordant les tessitures les plus meurtrières qui la conduisirent à la même usure prématurée d'une voix reconnaissable entre toutes. Faites le test et, à plusieurs reprises, vous risquerez de confondre les deux voix pour une intonation, une attaque de notes ou leur parfaite prononciation du français (Marguerite du Faust).
Le présent CD nous offre un large panorama de son talent, à travers les opéras qu'elle avait à son répertoire. Enregistrée pendant les meilleures années à Budapest, la cantatrice est souvent idéale d'intelligence et d'interprétation. Elle apporte un soin et une attention à chaque syllabe. À part quelques notes difficiles du chef-d'œuvre de l'opéra national hongrois, le très injustement méconnu Hunyadi Laszlo (Erkel), son colorature est particulièrement adapté à ce qu'elle interprète. Une mention particulière doit être faite à sa Tatiana (Eugène Onéguine). On ne dispose ici que de l'air complet de la lettre, mais ce sont onze minutes et demie de bonheur. Rarement l'héroïne romantique de Tchaïkovski avait été mieux campée, toute naïveté et tendresse, avec une voix slave aux graves de bronze et aux aigus puissants, malgré une voix déjà usée.
Outre les Médée et Macbeth déjà évoquées, une large part est faite aux opéras italiens. Verdi est particulièrement bien servi avec la scène d'Odabella (Attila) et l'air de Giselda (I Lombardi), extraits des intégrales réalisées pour le label hongrois. Lesvéristes, enregistrés plus tardivement, le sont tout autant avec les deux airs d'Adrienne Lecouvreur (Cilea), l'air de La Wally (Catalani) et – sa tessiture le permettant – la romance de Santuzza de Cavalleria Rusticana (Mascagni), d'ordinaire dévolue aux mezzos. En revanche, l'auditeur pourra y constater, dans l'aigu devenu difficile et le grave trop poitriné, les ruptures d'une voix que la chanteuse ne maîtrise plus tout à fait. Consciencieusement accompagnée par des orchestres hongrois, cette compilation variée ne démérite pas et reste un excellent témoignage de l'art de la cantatrice qu'on se doit de redécouvrir d'urgence.
MS