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Chroniques
Ralph Vaughan Williams
Symphonie n°1 « A sea symphony »
En abordant l'écriture de sa Symphonie n°1 en 1903 – qui lui demandera six ans de travail –, Ralph Vaughan Williams (1872-1958), alors jeune compositeur britannique au catalogue déjà remarqué et en passe d'accéder à la célébrité nationale, choisit sans surprise d'aborder le thème de la mer. Chaque culture musicale nationale semble développer ses thèmes de prédilection ; si les compositeurs allemands nous ont décrit mille fois l'homme solitaire dévoré par ses idées noires dans les forêts de la cruelle Germanie, les compositeurs britanniques – fidèles à leur condition insulaire – ont maintes fois rendu hommage à Sa Sainteté l'Océan (Sea Pictures d’Elgar en 1899, Songs of the Sea de Stanford en 1904, The Sea de Bridge en 1911, etc., jusqu'aux Four Sea Interludes de 1945, extraits de Peter Grimes, l'opéra de Benjamin Britten).
La vision de la mer développée par Vaughan Williams est pleine de remous, de mouvements sauvages et de clartés étincelantes avant la tempête. Pour le dire plus pragmatiquement, cette longue symphonie de plus d'une heure, presque en Technicolor hollywoodien, est souvent d'une grandiloquence démonstrative qui peut agacer (cf. le final à rallonge) autant que ravir (l'élégance de la description maritime du premier mouvement –qui renvoie plus au peintre Turner qu'aux œuvres de Mendelssohn). On découvrira évidemment un Vaughan William plus subtil dans sa deuxième symphonie, London Symphony, et sa troisième, A Pastoral Symphony ; mais on ne peut pas rester insensible à l'univers sonore qu'il déploie autour des poèmes de Walt Whitman : l'orchestre est accompagné par un chœur et deux chanteurs solistes (un soprano et un baryton). La Sea Symphony est à la fois un hommage à la tradition chorale romantique de la fin du XIXe siècle en Grande-Bretagne, incarnée par Elgar et Parry, et un acte de rupture avec la tradition symphonique allemande classique, de par l'utilisation de nombreux thèmes folkloriques anglais au détour de nombreuses pages (dont The Golden Vanity et The Bold Princess Royal).
En quatre mouvements basés sur des textes du poète américain Walt Whitman (extraits de son recueil Feuilles d'herbe), Vaughan cherche à établir une analogie entre les étapes d'un voyage en mer et le destin de l'âme humaine perdue toujours dans des contrées inconnues. Les quatre sections de cette œuvre aux sonorités rutilantes (A song for all Seas, all Ships ; On the Beach at Night, Alone ;Scherzo : The Waves ; The explorers) sont autant d'invitation à un voyage poignant dans l'univers maritime obsédant de la culture britannique – la mer étant toujours le grand paradoxe de la beauté fatale, du sublime kantien sans retour, de la providentielle réserve de poissons qui n'épargne pas ses travailleurs… Tout y est chez Vaughan William, et il parvient avec talent à créer l'illusion que cette mer vacharde est tout simplement allégorique de la vie.
Paul Daniel, qui dirige l'English National Orchestra depuis 1997, ici à la tête du Bournemouth Symphony Chorus and Orchestra, donne une image claire et organisée de cette œuvre – qui peut rapidement tourner à la bouillie sonore de par les subtils entrelacs de l'orchestre, du chœur et des solistes. Le chef remplit son contrat pour Naxos sans problème, mais sans faire de vrais choix esthétiques – autres que la fidélité à la partition et le soutien à l'aspect audiovisuel assumé de cette musique. L'âme décrite par Whitman dans The Explorers reste à la porte, mais le ferry Sea Symphony vogue fièrement et nous fait voir du paysage ! Pour le reste, on pourra tenter d'accoster aux ports de Boult, Andrew Davis, ou Haitink (en fonction des disponibilités et des promotions).
Un hic de taille ? L'enregistrement proposé ici sous la forme d'un SACD (5.1 Suround Sound) date de février 2002 et a été préalablement édité par Naxos dans sa collection classique, avec d'ailleurs la même illustration et sous la référence 8.557059, puis en DVD audio. On rappelle pour mémoire que le principe du SACD est la spatialisation du son non plus sur les deux canaux de la stéréophonie, telle qu'elle se pratique hardiment depuis 1958, mais sur cinq canaux, soit cinq haut-parleurs répartis dans la pièce du mélomane ; le hic est évidemment qu'ici Naxos n'a certainement pas enregistré l'œuvre à la norme Suround mais reprend un précédent enregistrement stéréo pour le mixer en SACD. Naxos l'indique d'ailleurs en tout petit et dans la langue de Tony Blair : « 2-channel stereo mastered in DSD »… Espérons que les maisons de disque se lancent corps et âme, et sincèrement, dans la coûteuse production d'enregistrements SACD véritables.
FXA