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Chroniques
Richard Wagner
Die Meistersinger von Nürnberg | Les maîtres chanteurs de Nuremberg
D’une gestation relativement longue – la lecture d’une Histoire de la littérature allemande par Georg Gottfried Gervinus mène d’abord à une première esquisse du livret en juillet 1845, à sa rédaction définitive entre décembre 1861 et janvier 1862, puis à la composition proprement dite jusqu’en octobre 1867 et, enfin, à la création munichoise du 21 juin 1868 (sous la battue d’Hans von Bülow) –, Die Meistersinger von Nürnberg est un ouvrage à part. Contrairement à la plupart de ses opéras précédents plus ou moins marqués par la légende (amour d’un prince et d’une fée, vaisseau fantôme, Venusberg, chevalier du Graal, philtre d’amour, etc.), Richard Wagner y propose un contexte historique et géographique précis (la ville natale d’Albrecht Dürer, en Bavière, au milieu du XVIe siècle), lequel fait émerger un personnage ayant existé, Hans Sachs (1494-1576), célèbre parmi ces maîtres qui contribuèrent à stimuler l’amour de l’art dans les classes moyennes des cités impériales à partir du XIVe siècle.
Parabole sur l’art, l’unique comédie du compositeur romantique fonde son humour sur les oppositions entre différents courants de pensée. Face au jeune aristocrate Walther, certes inexpérimenté mais enthousiaste et spontané, se dresse toute une corporation bourgeoise (orfèvre, tailleur, savonnier, chaudronnier, etc.) attachée aux règles ancestrales, symbole d’une critique bornée qui défend jusqu’au grotesque des valeurs héritées. Entre les deux, porteur d’une philosophie propre à Schopenhauer, Sachs incarne un conservateur sagement éclairé, soucieux de préserver le meilleur de la tradition comme de repérer le sang neuf de la modernité, au seul profit de l’art allemand – une emphase nationaliste « reflet d’une époque brûlante de fièvre patriotique », comme le soulignerait Hofmannsthal.
Enregistrée en juin 2011 au Festival de Glyndebourne, cette production signée David McVicar ne nous laisse pas loisir de regarder notre montre, tant elle fait preuve de finesse, de fraîcheur et d’humour, alternant les tableaux intimistes à des scènes populaires bon enfant dignes d’un esprit shakespearien – à ce propos, rappelons que dans Esquisse autobiographique, Wagner avoue s’être mis à l’anglais pour lire l’auteur d’Hamlet et du Roi Lear, et avoir ébauché « une grande tragédie » inspirée de ces deux pièces. Une « vraie vie » éclate donc sur scène, qui plus est filmée avec soin.
Portés par un Vladimir Jurowski fluide et majestueux qui équilibre à merveille les pupitres du London Philharmonic Orchestra – sans toutefois rivaliser avec le lyrisme d’une formation allemande –, les chanteurs sont ici nombreux à séduire l’oreille : Gerald Finley (Sachs) n’accuse aucune baisse de régime, Topi Lehtipuu (David) s’avère toujours aussi souple de gorge et de jeu, Alastair Miles (Pogner) jouit d’un timbre chaud, Johannes Martin Kränzle (Beckmesser) est bien distribué, Anna Gabler (Eva) offre beaucoup de lumière à un chant manquant d’un peu d’espace, Michaela Selinger (Magdalene) propose un legato des plus onctueux, etc. Seul, peut-être, Marco Jentzsch (Walther) déçoit par un chant cru et nasal, parfois brutal, compensé par une incarnation parfaite de benêt extérieur à la communauté.
LB