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Chroniques
Пиковая дама | La dame de pique
opéra de Piotr Tchaïkovski
C’est la Région Sud qui est à l’initiative de ce nouveau spectacle imaginé par Olivier Py, monté en coproduction avec les opéras de Toulon, Marseille et Avignon. La scène niçoise a la primeur de la réalisation, puis ce sera Toulon en avril, tandis que Marseillais et Avignonnais y auront droit la saison prochaine. Habituel collaborateur de Py, Pierre-André Weitz a conçu les décors et costumes, une grande façade composée d’alignements de portes-fenêtres aux vitres cassées, sur trois niveaux. Un tronc d’arbre est planté à jardin, un piano droit et un lit changent de place au gré des scènes successives, le lit montant sur la terrasse à mi-hauteur pour figurer, par exemple, la chambre de la Comtesse. Un danseur, omniprésent pendant toute la soirée, se couche dans le lit dès avant les premières notes de musique, pendant que la Comtesse passe à l’étage, comme une sorcière dans un sombre cauchemar. Quelques images et idées sont appréciables, par exemple quand en queue-de-pie sur son simple slip blanc, le danseur dirige à la baguette les choristes répartis sur la totalité de la façade. D’autres propositions recueillent un moindre consensus, comme lorsque le figurant grimé en Comtesse reçoit les coups de boutoir du Comte de Saint-Germain, à l’évocation par Tomski de l’histoire passée – une faveur amoureuse ou franchement sexuelle contre le secret des trois cartes ? –, ou encore le même danseur travesti qui mime l’arrivée de la tsarine accompagnée par deux singes, dans une joyeuse copulation collective. L’imagination reste au pouvoir – Lisa et Pauline déguisées en Marx Brothers, avec faux-nez, lunettes, moustaches et chapka –, mais le mouvement domine, tirant par séquences à l’agitation. Pour son grand air au début du troisième acte, Hermann est entouré par trois danseurs qui effectuent une pantomime, on y perd sans doute dans l’intensité de la solitude et l’appréhension ressentie par le héros malheureux. De même qu’immédiatement après, l’aspect crépusculaire de l’air de la Comtesse est bien rendu dans sa deuxième partie, à l’étage avec Hermann caché sous le lit, tandis que la première strophe est chantée au rez-de-chaussée, les danseurs se frottant contre la chanteuse.
La distribution vocale amène des grandes satisfactions, la mise en commun de moyens entre plusieurs maisons d’opéra permettant certainement de gagner en qualité. Il est à noter, d’ailleurs, que les mêmes artistes sont à l’affiche des représentations toulonnaises en deuxième quinzaine d’avril. Défendant le rôle long et souvent tendu d’Hermann, le ténor Oleg Dolgov ne se montre pas toujours homogène en rayonnement vocal, ses notes aigües sont les plus brillantes, alors que le registre grave sonne de manière plus terne. Le baryton Șerban Vasile interprète avec un legato naturel, un souffle long et un joli grain le somptueux air du Prince Yeletski [lire nos chroniques de Falstaff, Symphonie des mille et Andrea Chénier]. Le ténor Artavazd Sargsyan (Tchekalinski) [lire notre chronique de La reine de Chypre et nos recensions des CD Gounod et Saint-Saëns] et les voix graves, profondes et de couleur slave d’Alexander Kasyanov (Tomski, Zlatogor) et Nika Guliashvili (Sourine) [lire notre chronique de Nabucco] font très belle impression, le Tchaplitski puis Maître des cérémonies de Christophe Poncet de Solages ne déparant pas la grande valeur de l’équipe [lire nos chroniques de L’enchanteresse et de The telephone].
Côté féminin, le rôle principal est attribué à Elena Bezgodkova (Lisa) : le timbre est séduisant, musical, et capable de puissance mais aussi de dégager de l’émotion. La précision de son intonation rencontre curieusement des faiblesses par instants, surtout au troisième acte. Le mezzo français Eva Zaïcik (Pauline, Milovzor) conduit avec soin et fermeté sa ligne vocale qui dégage un charme immédiat [lire nos chroniques d’Iliade l’amour, Il terremoto et Die Zauberflöte], Lisa et Pauline étant magnifiquement appariées dans leurs interventions en duo. Marie-Ange Todorovitch trouve en la Comtesse un emploi qui lui va idéalement, émettant des graves poitrinés mais sans démesure [lire nos chroniques de Faust et de La reine de Saba]. Nona Javakhidze (Gouvernante) et Anne Calloni (Prilepa, Macha) complètent agréablement l’affiche.
Mais le grand triomphateur de la soirée est peut-être le chef György Győriványi Ráth, directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Nice depuis 2017 [lire nos chroniques de Madama Butterfly et de Don Giovanni], qui obtient une prestation absolument splendide de sa phalange. L’ampleur, le souffle des premières mesures donnent le ton, le chef détaillant les pupitres des bois quelques instants plus tard. Un beau relief dramatique est dessiné lors des moments paroxysmiques, comme le long duo Lisa-Hermann de l’Acte II ou les interventions d’Hermann au III, mais les musiciens peuvent tout aussi bien caractériser avec légèreté la pastorale La bergère sincère. Réunis pour l’occasion, les Chœurs des Opéras de Toulon et de Nice, respectivement dirigés par Christophe Bernollin et Giulio Magnanini, se montrent vaillants mais pas aussi au point techniquement, en accusant de nombreux petits décalages avec la fosse. Ces petites imperfections ne gâchent pas la fête et, sous la houlette de Philippe Négrel, le Chœur d’enfants de la maison est impeccable. À noter, en dernier clin d’œil, les choristes qui se protègent de la pluie avec un journal sur la tête… le quotidien Nice-Matin bien sûr, couleur locale oblige !
FJ