Chroniques

par françois jestin

Aida | Aïda
opéra de Giuseppe Verdi

Macerata Opera Festival / Sferisterio
- 12 août 2021
Aida, opéra de Verdi au Macerata Opera Festival
© alfredo tabocchini

Outre la reprise de La traviata dans l’ancienne production d’Henning Brockhaus, déjà chroniquée dans ces colonnes [lire notre chronique du 11 août 2018], le Macerata Opera Festival (MOF) propose un nouveau spectacle pour Aida. C’est d’ailleurs ce titre qui fut le premier opéra représenté dans le vaste espace en plein air du Sferisterio il y a tout juste cent ans, le 27 juillet 1921. On fête donc ici et maintenant le centenaire d’une représentation lyrique, même si le MOF n’en est qu’à sa cinquante-septième édition.

Avant le commencement de la représentation, la vision des petites dunes en faux sable sur le plateau laisse imaginer un traitement classique, mais la metteure en scène Valentina Carrasco [lire notre chronique de The turn of the screw] opère une intéressante transposition dont on peine toutefois, par moments, à retrouver la logique (décor de Carles Berga, costumes de Silvia Aymonino, lumière de Peter von Praet et chorégraphie de Massimiliano Volpini). Ce sont d’abord Radamès et Amneris qui entrent en scène, lui comme un explorateur ou égyptologue sur les traces d’un Champollion, carte en main, gourde et jumelles en bandoulière. On comprend que l’action est modernisée aux temps de la création de l’œuvre, la première ayant eu lieu en 1871 au Caire pour célébrer l’ouverture du Canal de Suez. Le contrôle d’alors de l’Égypte par l’Empire Ottoman apparaît dans le costume du roi (Il Re), coiffé d’un chapeau évoquant un bey. Aida travaille au service d’Amneris et de Radamès, préparant le thé et portant le sac de golf de Madame. Mais on se demande bien quelle mouche pique ensuite Radamès pour qu’il passe subitement commandant en chef des soldats, une armée mixte composée de colonisateurs et de forces locales ? Le clou visuel de la réalisation est assemblé en fin d’Acte II, au cours de la marche triomphale, à savoir des éléments de tuyauteries formant un oléoduc, l’ensemble ayant plutôt l’allure d’une raffinerie. Quelques bidons qu’on fait rouler au sol confirment qu’il s’agit bien de pétrole dans les tuyaux. Aida chantera son air sur les rives du Nil, en début d’Acte III, dans ce paysage industriel d’une esthétique qui relève plutôt du XXe ou du XXIe siècle. De même, les amants ne seront-ils pas emmurés vivants à la conclusion, mais supposés noyés ou étouffés par une petite douche brune qui coule au débouché d’un tuyau… a priori ils devraient pouvoir y survivre !

Il faut saluer la belle performance de Francesco Lanzillotta [lire nos chroniques de Torvaldo e Dorliska, Lucia di Lammermoor et L’elisir d’amore], également directeur musical du MOF, aux commandes de l’Orchestra Filarmonica Marchigiana. Le chef assure d’abord une coordination très précise de l’ensemble des artistes – musiciens, choristes et solistes, situés parfois à bonne distance de son pupitre. Certains instrumentistes sont ainsi placés à l’extrémité à cour du Sferisterio, pas seulement les trompettes de la marche triomphale mais plusieurs cuivres et bois, produisant d’ailleurs de beaux effets acoustiques. Tout en respectant la partition, la direction dégage aussi un caractère affirmé et une variété d’effets, entre les pianissimi d’Aida à l’air du Nil et le grondement orchestral quelques minutes plus tard quand Amonasro menace sa fille pendant leur duo.

Dans le rôle-titre, Maria Teresa Leva chante justement un splendide air du Nil, émettant d’ineffables piani maîtrisés sur le souffle et d’une rare musicalité. Elle ne fait pas aussi forte impression dans les actes précédents, en particulier au cours du premier où, hirsute et souvent au sol, elle se frappe la poitrine en faisant davantage penser à Azucena qu’à l’esclave éthiopienne. Vocalement, le soprano rencontre de petits temps plus faibles dans les premier et deuxième actes, mais sa formidable performance dans les suivants emportent l’adhésion [lire notre chronique du 8 juin 2018]. Le cas du ténor Luciano Ganci (Radamès) est assez particulier, en laissant ce soir une très belle première impression par son timbre agréable, coloré, bien projeté, mais l’instrument se dérègle, curieusement et extrêmement vite. Au cours de l’air d’entrée Celeste Aida, le ténor frise l’incident, la voix perdant son contrôle dans le registre aigu. Fort heureusement, le soliste regagne la forme et assure même la suite avec une certaine vaillance, le duo conclusif du IV étant émis avec goût [lire nos chroniques de Giovanna d’Arco, Andrea Chénier et Stiffelio]. En Amneris, le mezzo Veronica Simeoni dispose d’une voix suffisamment volumineuse dans le medium et dans l’aigu, mais paraît moins opulente dans le registre grave. En tout cas, la chanteuse s’investit dans le rôle, jouant sur des accents justement cyniques ou méchants, mais ses tentatives de grossir quelques graves manquent parfois de naturel [lire notre chronique de La forza del destino]. Marco Caria en Amonasro est un très bon baryton Verdi, doté d’une voix saine et sonore [lire nos chroniques de Roberto Devereux et de La traviata], et les deux basses Fabrizio Beggi (Il Re) et Alessio Cacciamani (Ramfis) [lire notre chronique de Tannhäuser] sont aussi satisfaisantes, tout comme la prometteuse Maritina Tampakopoulos (Sacerdotessa).

Les choristes du Coro Lirico Marchigiano Vincenzo Bellini sont bien mis en valeur visuellement sur le plateau et lors de leurs déplacements, par exemple lorsqu’ils défilent sur toute la largeur de scène avec une lumière à la main. Préparés par Martino Faggiani [lire nos chroniques d’Iphigénie en Tauride, Œdipe, Hamlet, Jérusalem, Falstaff, Il prigioniero, Lohengrin, Macbet, Attila, La Gioconda, Le conte du tsar Saltan, I due Foscari et Nabucco], ils s’avèrent aussi très bien chantants et suffisamment nombreux pour produire un son cohérent et homogène.

FJ