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Chroniques
Aurélie Allexandre d’Albronn, Violaine Despeyroux, Clément Lefebvre,
Raphaël Sévère et Eva Zavaro jouent Brahms, Debargue et Fauré
À la rencontre de la jeune horde de chambristes nouvellement en résidence à Saint-Céré, les premières pensées, par un coucher de soleil magique, montent depuis le Château de Cavagnac, à l’imposant donjon du XIIIe siècle. Une soirée exceptionnelle dans l’année, quand la belle maison s’ouvre gracieusement au concert et que l’équipe du Festival de Saint-Céré opère le miracle.
Au rendez-vous avec un pilier de la musique française, Gabriel Fauré, et avec le romantisme viennois de Johannes Brahms, l’entame prend à contre-pied par le premier mouvement du Trio pour piano et cordes de Lucas Debargue (né en 1990), surprise du programme, que le compositeur et pianiste [lire nos chroniques des 17 février, 2 avril et 11 juin 2017, enfin celle du 13 août 2020] décrit en amorce au public comme une marque de son attachement à la tradition des grands trios, mais aussi comme un concerto à trois instruments, voire comme un roman à trois personnages dont chacun est doté d’un important temps de parole. À toute première écoute, c’est un impressionnant flot d’énergie qui se disperse entre les solistes, avec parfois de difficiles décalages. L’intéressante multiplicité des teintes peut nuire à l’émotion générale mais la finesse de l’écriture séduit grâce au talent des interprètes, tour à tour spirituels pour quelques brèves échappées en solitaire. En tout cas, apparu dans ce cadre et porté par des musiciens complices, cet opus s’annonce très bien ainsi.
Le charme de Brahms, ensuite, dans le sombre et introspectif Trio pour clarinette, violoncelle et piano en la mineur Op.114 (1891), est élégamment enseigné, sans faux-pas, dès le début du mouvement inaugural (Allegro alla breve). Le geste premier de la violoncelliste Aurélie Allexandre d’Albronn, puis sa conduite assurée des thèmes, sont remarquables. La clarinette de Raphaël Sévère contient bien l’élixir brahmsien tandis que Clément Lefebvre apporte un lyrisme rafraîchissant à l’Adagio séduisant de tristesse. Sans défaire l’unité du trio, l’affaire se laisse entendre à son mieux au violoncelle, somptueux dans l’Andantino grazioso et expressif dans le Finale plein d’allégresse communicative.
La cohésion de l’ensemble culmine avec le Quatuor pour piano et cordes en ut mineur Op.15 n°1 (1883) de Gabriel Fauré, servi d’entrée avec une vitalité fougueuse. Eva Zavaro (violon) et Violaine Despeyroux (alto) enflent la voilure introductive de l’Allegro molto moderato, aux originales variations de la phrase épinglée pour toujours à la Recherche de Marcel Proust. Et l’auditeur de voyager dans l’œil du cyclone, les effluves de l’esprit français portées par la brise du soir, avant que l’étincelant Scherzo le captive. Mélodieux ou espiègle, tout y est délicieusement tonique comme la virtuosité d’Eva Zavaro. Plus classique, l’Adagio bénéficie de cordes expertes, en même temps fébriles. Des accords funèbres préviennent la légère courbure du mouvement, devenu suppliant au violon. Passent une rêverie mélancolique puis la transition pianistique par Clément Lefebvre vers l’élégiaque berceuse, enfin recouverte par la glorieuse coda. Au quatuor il ne reste alors qu’à brûler ses dernières cartouches dans un Finale en tourbillon. L’ovation retentit sur la colline et sous les étoiles pour saluer un concert fort nuancé.
FC