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Chroniques
création de Deux Études d'Yann Robin par Bertrand Chamayou
Mikko Franck et l’Orchestre Philharmonique de Radio France
Ces vendredi 2 et samedi 3 septembre, la maison ronde met au programme de sa plus grande salle – bien pratique pour distancier, en temps de crise sanitaire – trois Français au langage inimitable : Claude Debussy, Maurice Ravel et Yann Robin. De ce dernier (né en 1974), on entendra demain le quatuor Crescent Scratches (2011) [lire notre critique du CD], mais pour l’heure, Bertrand Chamayou s’installe au piano pour Étude n°1 « Les Agrégats ».
« Comment donc retrouver mon son en ayant à ma disposition un “simple” clavier composé de quatre-vingt-huit notes ? » (brochure de salle), s’interroge l’auteur de Phigures [lire notre chronique du 5 avril 2012]. La solution est de recourir à une action bien identifiable, recelant une difficulté technique dont on espère la perception de moins en moins sensible, au profit de la musicalité. Rythmée par des galopades dans les extrêmes et par moult decrescendos, cette page virtuose doit son sous-titre aux secondes mineures jouées simultanément, « s’articulant et s’imbriquant entre les deux mains à très grands vitesse ». Arachné, la deuxième d’un cycle de douze en préparation, sollicite uniquement la main gauche de Chamayou, son dédicataire [lire nos chroniques du 12 février 2019, du 20 juillet 2018, des 8 et 15 janvier 2017, ainsi que du 12 octobre 2014]. Plus riche en climats et tempi, cette seconde création propose un tissage de quatre espaces harmoniques qui doit contribuer à faire naître le mystère.
Quittons la mythologie pour l’Histoire. Durant la Grande Guerre, le pianiste Paul Wittgenstein (1887-1961) perd son bras droit sur le front russe. Désirant poursuivre sa carrière malgré le handicap, il joue des pièces arrangées pour la main gauche et passe des commandes aux célébrités de l’époque (Britten, Hindemith, Korngold, etc.). C’est ainsi que Maurice Ravel s’attelle au Concerto en ré majeur, entre 1929 et 1931. L’œuvre achevée, le Français assiste à son exécution – c’est le cas de le dire – dans une version arrangée pour deux pianos, laquelle écorche la partition en profondeur. Furieux des libertés prises par le commanditaire, Ravel ne se rend pas à Vienne pour la création, le 5 janvier 1932. Puis, l’exclusivité parvenue à son terme, le concerto retrouve son visage originel sous les doigts de Jacques Février, à Paris le 19 mars 1937.
Prévu de longue date, Edward Gardner laisse finalement place à Mikko Franck pour diriger l’Orchestre Philharmonique de Radio France – lequel rappelle que nous sommes inégaux devant le port du masque… instruments à vent oblige ! La mise en route du Concerto pour la main gauche est laborieuse, dénervée, funèbre. Puis, un coup de cymbales médian signe l’émergence d’une fluidité attendue. Pour sa part, Bertrand Chamayou mérite tous les éloges pour son sens de la nuance, entre caresse et brillance. Il offre au public conquis La fille aux cheveux de lin, avec une tendresse un rien mélancolique.
Terminons cette soirée avec Debussy. À son ami et confrère André Messager, le Parisien écrit : « vous ne saviez peut-être pas que j’avais été promis à la belle carrière de marin et que seuls les hasards de l’existence m’ont fait bifurquer. Néanmoins, j’ai conservé une passion sincère pour Elle (la mer) » (12 septembre 1903). Arrivée à terme au milieu de soucis conjugaux et financiers, sa pièce symphonique la plus célèbre est créée à Paris, le 15 octobre 1905. L’œuvre déconcerte qui, se présentant sous forme de trois esquisses, s’avère ample et grandiose. C’est ainsi que la rend le Philhar’, dans la seconde partie, entre les ciselures frémissantes qui scintillent dans la première, et les grondements semi-soyeux de la dernière. Combien de sourds n’ont pas entendu les vagues et le vent dans ce chef-d’œuvre, à l’époque de la création ?
LB