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Chroniques
Der Freischütz | Le franc-tireur
opéra de Carl Maria von Weber
Et si, en croyant s’approcher d’un paradis terrestre c’est en enfer que Max attendra, une année durant, la purification nécessaire imposée par le prince avant d’épouser la belle Agathe ? Aventure clairement faustienne, Der Freischütz, pour être encore relativement rare sur la scène française, est l’ouvrage à partir duquel s’est construite l’histoire de l’opéra allemand, tournant le dos à l’ornementation italienne en forgeant son propre romantisme en musique, traversé de thèmes fantastiques, puis mythologiques – ainsi après Die Feen, Das Liebesverbot et Rienzi, Wagner quittait-il une manière encore belcantiste en plongeant dans les eaux houleuses du fliegende Holländer, installant son univers de dieux et de surhommes dès Lohengrin. Rappelons-le : sans Carl Maria von Weber en 1821 (Der Freischütz) et sans Heinrich Marschner en 1828 (Der Vampyr), point de Vaisseau fantôme sur l’horizon lyrique. Au Ludwigsburger Schloßfestspiele, nous voyons une nouvelle production signée Clément Debailleul et Raphaël Navarro (Compagnie 14:20), que le public parisien découvrira au Théâtre des Champs-Élysées en octobre, avec une distribution un rien modifiée (en collaboration avec les Théâtre de Luxembourg, l’Opéra de Rouen et le Théâtre de Caen).
Par-delà l’ancrage de l’œuvre dans un imaginaire folklore bohémien, les metteurs en scène s’en sont tenus au seul aspect fantastique. Les regards sont absorbés par un plateau noir, noir et noir encore, où affleurent quelques clairs-obscurs (lumière d’Elsa Revol). Debailleul signe également la vidéo, chemin de forêt et végétation méditerranéenne pendant l’Ouverture, frondaisons à peine ensoleillées, images volontiers tordues jusqu’à l’abstraction, dans une stylisation radicale. Les lieux de l’action sont dits ou sus, ils ne sont pas représentés, tout juste quelques touches invitent chacun à les imaginer, au début, selon une stimulation vite abandonnée à la faveur d’une obscurité monochrome et diffuse. Au danseur et jongleur Clément Dazin il a confié la présence de Samiel, esprit qui se meut d’étrange façon (chorégraphie d’AragoRn Boulanger), grâce à un artifice invisible également convoqué à soulever Kaspar en fin de premier acte. Kilian, le vainqueur du concours, jongle aussi : est-ce suggérer une accointance avec Samiel ou simplement montrer une habileté qui, précisément, n’aurait que faire d’une aide démonique ? Le doute est semé… Passée une poésie plutôt mièvre soulignée par des effets de lumière cacochymes, la proposition, qui ne fait aucunement vivre les personnages, se révèle vite inféconde, voire indigente. Une version de concert lui semble préférable.
Aussi est-ce essentiellement sur l’interprétation de Laurence Equilbey que repose la soirée. En découvrant la large fosse très ouverte du Forum am Schloßpark, il y avait de quoi s’inquiéter quant à l’équilibre entre le plateau et la fosse. Pourtant, tout se passe pour le mieux. La précieuse ciselure et l’élan généreux réalisés par la cheffe française à la tête de son Insula Orchestra dessinent prodigieusement les climats dramatiques, profitant de chaque idée musicale comme de chaque couleur. De fait, c’est bel et bien la fosse qui montre la Gorge aux loups. Préparé par Frank Markowitsch, le chœur Accentus n’est pas en reste.
L’octuor vocal fait son office, sans susciter de réel enthousiasme, à l’exception d’une artiste. Le timbre sûr de Christian Immler sert aisément l’Ermite, ainsi que la Voix de Samiel (via les haut-parleurs, celle-ci). On retrouve le jeune baryton Anas Séguin, applaudi à Saint-Céré [lire notre chronique des Nozze di Figaro], qui campe un solide Kilian. De même Samuel Hasselhorn prête-t-il un cuivre séducteur à la partie d’Ottokar. D’abord un brin fragile, l’Ännchen de Chiara Skerath gagne en assurance et assure une prestation efficace [lire nos chroniques de Trompe-la-mort et de La cenerentola]. La robustesse du baryton-basse Vladimir Baykov est idéale en Kaspar, le damné, de même que la basse confortable de l’excellent Thorsten Grümbel [lire nos chroniques de Rheingold et de Siegfried] s’acquitte plus qu’honorablement du rôle de Kuno. Avec une émission très nasalisée et une projection souvent tremblante, le ténor Tuomas Katajala n’est pas à son aise en Max, d’un format restreint par rapport à l’ensemble de la distribution. Enfin, la grande émotion survient avec le soprano sud-africain Johanni Van Oostrum, Agathe rigoureusement phrasée, sur une impédance de Lied mozartien, tendre et puissante, de toute beauté [lire notre chronique de Die tote Stadt] – voilà une voix qu’il faut suivre !
BB