Chroniques

par françois cavaillès

La clemenza di Tito | La clémence de Titus
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra royal de Wallonie, Liège
- 17 mai 2019
Cécile Roussat et Julien Lubek mettent en scène "La clemenza di Tito" à Liège
© opéra royal de wallonie-liège

Avec La clémence de Titus, Mozart expire à l’opéra. Sa dernière œuvre lyrique est créée au Théâtre national de Prague en septembre 1791, deux mois avant que – misère, misère… – la vie du compositeur finisse et entre dans la légende. « Dans la nuit du 4 au 5 décembre, il neigea sur Vienne comme il n’avait plus neigé depuis de nombreuses années » : ainsi s’ouvre, parmi tant et tant de récits à ce sujet, le petit recueil d’Ernst Wilhelm Heine, Qui a assassiné Mozart ?, écrit drôle et singulier entre conte, enquête et essai (Wer ermordete Mozart?, 2005 ; version française parue chez Le Sonneur, 2011). Les circonstances du décès ont beaucoup inspiré. Fort humble, triste et injuste dans les faits, c’est la mort d’un jeune roi de la musique à laquelle, sous le poids d’une perte incommensurable, on ressent de violents contrastes.

Il est dès lors tentant de percevoir de manière moderne La clemenza di Tito, borne supérieure du genre opera seria finissant. Dernier coup de brosse au portrait d’un artiste haut en couleurs, ultime représentation de l’existence modeste d’un bienfaiteur de l’humanité, il peut s’agir d’un « parcours entre lumière et ombres », « pour donner toute son ampleur au rêve utopique porté par Mozart/Tito ». Ces mots concluant leur note d’intention font de Cécile Roussat et Julien Lubek, de retour à l’Opéra royal de Wallonie après Die Zauberflöte [lire notre chronique du 18 décembre 2015], des biographes de Mozart au sens le plus entier du terme, attendu, surtout, l’inventivité foisonnante du spectacle qu’ils proposent.

Passée l’Ouverture galopante sous une lumière bleu violacé, traversé l’unique rideau d’algues (ou de plumes ?), le regard plonge dans un monde à l’éclairage somptueux, fumant par endroits, et comme englouti en des profondeurs troglodytiques, mais bel et bien vivant avec ses habitants humanoïdes sauteurs, rampant ou même volants par le biais de cordes célestes. Les limites de l’opéra sont vite repoussées, le drame offert par les chanteurs et les musiciens s’inscrivant dans un cadre esthétique époustouflant, tout à l’imaginaire et à l’action scénique grâce, notamment, aux performances exceptionnelles d’acrobates artistes du cirque. L’œuvre reçoit un nouvel habillage très original, aux multiples références visuelles, toujours généreuses, parfois lointaines mais encore populaires – en puisant, par exemple, dans le cinéma fantastique récent, mais sans la vilaine et envahissante numérisation. La scène en semble presque surchargée – jusqu’à l’accident, heureusement sans gravité, d’un échassier tombé dans la fosse ! La poésie abondante des tableaux s’ajoute, de manière mystérieuse et heureuse (selon les goûts et l’interprétation de chacun, certes), à celle, aux contours plus nets, du livret.

L’excellence du chant mozartien est au rendez-vous. On retrouve avec un grand bonheur le mezzo Cecilia Molinari, tout de beauté, de nerf et d’habileté dans le rôle de l’angélique Annio, amoureux à l’aile longue et quelquefois porté aux nues... De vrais moments de magie, d’une cantatrice simplement enchanteresse [lire nos chroniques du Siège de Corinthe et de L’Italiana in Algeri] ! Le Sesto d’Anna Bonitatibus, mezzo au timbre classieux peut-être idéal pour le baroque, emporte aussi notre adhésion, mais de manière progressive, maîtrisant pleinement ses effets au second acte [lire nos chroniques du 28 novembre 2010, du 12 avril 2012, du 27 février 2017, du 15 novembre 2017 et du 1er décembre 2018]. Pour incarner Servilia en toute sa finesse de batiste, le soprano Verónica Cangemi fait montre d’une douceur et d’une fraîcheur féériques, à l’opposé de la Vitellia plus démonstrative de Patrizia Ciofi. La rudesse caractérise le Titus de Leonardo Cortellazzi, ténor fougueux, mais aussi charmeur et héroïque, qui parvient à assumer, sous l’apparence d’un centaure, tout le merveilleux du rôle conçu pour faire forte impression [lire nos chroniques de Pigmalione, Idomeneo et Fin de partie]. De même, Markus Suihkonen (Publio) est une basse ravissante et tonique, en même temps qu’un très imposant chèvre-pied [lire nos chroniques de Das Wunder der Heliane, Le duc d’Albe, Parsifal, Le joueur et Iolanta].

Enfin, à son meilleur la fosse réunit Chœur et Orchestre maison, respectivement dirigés par Pierre Iodice et Thomas Rösner, pour une performance énergique, d’une vitalité assez éclatante dans les voix, tout en respectant fidèlement les derniers souffles lyriques mozartiens, de convenable manière, notamment par une sage attention aux volumes dans les ensembles – en bref, et pour reprendre le slogan de l’ancien ministre liégeois Jean-Pierre Grafé, disparu la veille, « toujours là quand il le faut ».

FC