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Chroniques
La traviata | La dévoyée
opéra de Giuseppe Verdi
L’hommage à Franco Zeffirelli, disparu ce 15 juin à l’âge de quatre-vingt-seize ans, occupe forcément les Arènes de Vérone auxquelles le travail du vieux maître est tellement lié. De tous les ouvrages qu’il a montés, La traviata est sans aucun doute celui avec lequel il a tissé la relation la plus étroite, au point de construire une longue histoire qui jalonne toute sa vie d’artiste. Rendez-vous compte, il a réalisé la production de 1958 pour la Callas, à Dallas, il y a plus de soixante ans ! Et qui n’a pas vu le film qu’il a tiré de l’opéra de Verdi, en 1983 ? À Vérone, il a refait une Traviata, encore modifiée ces dernières années. La reprise de cet été, tout comme Il trovatore que nous y avons vu il y a quelques jours [lire notre chronique du 7 juillet 2019], fait figure d’hommage et pose une question quasiment muséale pour l’avenir du festival : faudra-t-il entretenir pieusement les mises en scène de Zeffirelli, dans une sorte de repli prudent, ou, au contraire, faire prendre à la manifestation un nouveau virage, avec les risques que cela comprend ? Autrement dit, le public vient-il ici pour s’immerger dans le passé ou accepterait-il de lui tourner le dos ? On peut s’interroger.
Au vu des costumes excessifs de Maurizio Millenotti et des décors monumentaux conçus par le cinéaste italien, je ne crois pas qu’il soit profitable de l’amphithéâtre véronais ? dans le respect infécond d’un acte artistique surchargé que marque considérablement une lourde touche kitschissime. La chorégraphie de Giuseppe Picone, pour plaisante qu’elle est aux nombreux touristes venus là comme à une soirée folklorique, ne fait qu’affirmer, comme tout le reste, une réplétion maladive vécue par mélomanes et critique comme une indigestion. L’impression est peut-être inévitable lorsqu’on représente un drame de la bourgeoisie, ce qu’est La traviata plus que tout autre opéra, dans un théâtre antique plus approprié aux grandes fresques historiques ou légendaires. Et si l’on osait jouer ici la tragédie dans toute sa pureté, par exemple ?... La nouvelle surintendante et directrice artistique du Festival dell’Arena di Verona, le soprano Cecilia Gasdia, native de la ville, pourrait avoir à repenser l’événement.
Quoi qu’il en soit – et quoi qu’il en sera !... –, le plateau vocal réuni ce soir fonctionne plutôt bien. Le soprano Irina Lungu donne une Violetta attachante, plutôt habile et techniquement sûre [lire nos chroniques de Turandot, La traviata et Faust]. Clarissa Leonardi est satisfaisante en Flora, Romano Dal Zovo également en Grenvil parfait [lire notre chronique de Nabucco], quand le baryton-basse Daniel Giulianini, au timbre et à la présence très magnétiques, crève l’écran en d’Obigny [lire notre chronique de Don Giovanni]. Gianfranco Montresor use d’un cuivre accrocheur dans un Douphol efficace. À l’inverse, le Gastone di Letorières de Carlo Bosi est décidément trop usé. Le jeune baryton Simone Piazzola, originaire de Vérone, lui aussi, donne un Germont Père touchant et puissant dont on admire la grande santé vocale, à défaut d’un travail plus fin de la nuance. Premier prix masculin du concours Operalia 2018, le ténor biélorusse Pavel Petrov livre, à vingt-huit ans à peine, un Alfredo qui retient toute l’attention, avec un registre parfaitement construit et stable dont l’aigu surprend par sa souplesse [lire notre chronique de La dame de pique]. La maîtrise du jeune chanteur est un cadeau !
Vito Lombardi dirige toujours avec grande science le Chœur du festival, à la maison dans cette partition du grand répertoire italien. Les musiciens de l’Orchestra dell’Arena di Verona ne déméritent pas, mais la lecture d’Andrea Battistoni, qui paraît confondre Verdi avec Mascagni, est assez lourde, par moments brouillonne, et manque surtout de tenue et de style [lire nos chroniques de Stiffelio et de La bohème]. Malgré quelques bons ingrédients, la soirée n’est pas franchement formidable…
KO