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Chroniques
Le prophète
opéra de Giacomo Meyerbeer
Après Vasco de Gama, Dinorah et Les huguenots que nous y avons vu il y a un an [lire notre chronique du 27 novembre 2016], la Deutsche Oper de Berlin complète son cycle Giacomo Meyerbeer qui devrait culminer en 2020.Olivier Py, qui avait monté Les huguenots à Bruxelles [lire notre chronique du 19 juin 2011], succède à David Alden dans la maison de Charlottenburg où il dirige, cette fois, Le prophète.
Dans la scénographie de grisaille attendue que signe son vieux complice Pierre-André Weitz, le metteur en scène français tente maladroitement de questionner l’ère industrielle, le siècle du compositeur, en fait, plutôt que celui dans lequel se situe l’intrigue de l’opéra. C’est du moins ce que l’on croit de prime abord, mais très vite les panneaux publicitaires où s’affichent les réclames pour des sous-vêtements masculins nous font abandonner ce degré intermédiaire d’actualisation pour sauter à pieds joints dans notre société, le consumérisme sur lequel elle repose toute entière, enfin la rentabilité du narcissisme de monsieur Tout-le-monde. Pour ce faire, Py convoque les bonnes vieilles recettes – rues tristounettes, brume urbaine, etc. – et complète le tableau avec une armada de go-go boys qui donneront pour finir une touche porno gay à la production. Alors qu’on devine une banlieue à problème dans cet univers, la proposition sème des indices superficiels qui relèvent plus d’une routine d’artiste que d’une véritable réflexion sur l’œuvre. Avec cette orgie fadasse de culs nus comme l’on en vit dans beaucoup de ses spectacles – ces ternes provocations épatent peut-être le bourgeois à Genève ou à Paris, mais à Berlin, qui en a vu d’autres, franchement, elles ne font pas sensation du tout –, avec également la présence d’un ange-garçon dont la fonction dramaturgique n’est pas assez définie (elle ne saurait se limiter aux cartons de cinéma muet qu’il brandit, mettant une distance brechtienne dans le dispositif global, distance décuplée par une mise en abime du couronnement, lisible comme une grande pantomime), cette version duProphète ne rend pas service à l’ouvrage, du coupd’une platitude sans bornes. Alors que la Deutsche Oper a le courage de le présenter dans sa totalité, contrairement à Karlsruhe deux ans plus tôt qui coupait quelques passages, le peu de cohérence et le beaucoup de complaisance autosatisfaite de Py place sa proposition à des années-lumière de la réussite de Tobias Kratzer [lire notre chronique du 18 octobre 2015]. Gageons que L’Africaine que ce dernier signera dans deux mois à Francfort finira d’éclipser la pénible sottise que nous venons de subir.
Pourtant, le déplacement valait la peine, tant la teneur musicale de cette soirée possède d’intérêt, elle. Volontiers rossinien, Enrique Mazzola joue souvent la musique contemporaine, mais encore celle de Meyerbeer. Ici, il est très impliqué dans le cycle qui lui est consacré : après l’avoir inauguré en dirigeant Vasco de Gama en 2013, il abordait Dinorah l’année suivante et l’enregistra dans la foulée avec les forces de vives de la maison berlinoise. L’actuel patron de l’Orchestre national d’Île-de-France [lire notre entretien] retrouve cette fosse qu’il connaît bien. Conscient du caractère moins belcantiste de la partition, le chef italien mène une interprétation dynamique mais jamais agitée, tendue sans brutalité, vive sans nerfs excessif. Il fait entendre le raffinement de l’écriture des bois, tout en soignant l’équilibre avec le plateau. Le public ne s’y trompe pas : à chaque retour d’entracte, Mazzola est ovationné comme le véritable maître d’œuvre de la réussite.
Du point de vue vocal, tout n’est pas parfait, mais le cast se tient, de même que le beau travail du Chœur maison, préparé par Jeremy Bines. Et ce n’est pas rien d’entendre et de voir Gregory Kunde en Jean de Leyde ! L’excellente maîtrise de ses moyens permet au ténor américain de magnifier la partie du prophète avec l’élan héroïque nécessaire et une variété de couleurs très intéressante. Il faut pourtant signaler un haut-médium par moments un peu instable et une diction française encore perfectible. À Fidès convient le phrasé généreux le phrasé généreux de Clémentine Margaine, Carmen à Bastille la saison passée [lire notre chronique du 16 mars 2017]. Son incarnation est expressive, inspirée même, sans brûler les planches comme on l’attend de ce rôle intense. C’est un vrai bonheur de retrouver la fraicheur chatoyante de la voix d’Elena Tsallagova en Berthe émouvante [lire nos chroniques de La Calisto, Pelléas et Mélisande, Falstaff et The Rape of Lucretia], servie par une agilité formidable et des nuances qui la rendent plus attachante encore que ne le fait déjà la présence scénique. En troupe à la Deutsche Oper, Seth Carico évolue dans des répertoires différents avec le même succès : après Leporello (Don Giovanni), Gunther (Götterdämmerung) et le Père (L’invisible), le baryton campe un Oberthal noir aux allures de grandvoyou. Sans détailler chacun des petits personnages si nombreux, finissons par les trois fanatiques, efficacement tenus par Derek Welton (Zacharie), Andrew Dickinson (Jonas) et Noel Bouley (Mathisen).
Que la composante musicale soit l’aspect le plus satisfaisant de la soirée est un avantage pour cette œuvre d’une facture mieux aboutie que les précédentes dans le catalogue de Meyerbeer. Après Le prophète de Stefano Vizioli à Toulouse [lire notre chronique du 30 juin 2017], qui, après Laurent Pelly à Londres [lire notre critique du DVD], se penchera sur Robert le Diable ?...
HK