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Chroniques
Márton Illés, Frank Martin et Richard Strauss
Cornelius Meister dirige le Staatsorchester Stuttgart
Un nouveau directeur musical est arrivé au Staatsorchester Stuttgart. On le connaît bien, pour avoir salué depuis longtemps son grand talent : il s’appelle Cornelius Meister, et s’est révélé autant passionnant dans le répertoire que dans la création [lire nos chroniques du 17 juin 2009, du 12 janvier 2013, du 9 avril 2014 et du 2 septembre 2015]. Outre la longue tradition de la formation allemande à défendre la musique de son temps, il fallait bien s’attendre à ce qu’un tel chef l’y encourage. Aussi sa première saison invite-t-elle un compositeur, présent à travers plusieurs programmes et ateliers. Double plaisir, ce soir, puisqu’il s’agit de Márton Illés ! Après avoir apprécié la version pour ensemble de ses Trois aquarelles, cet hiver au Festival Présences [lire notre chronique du 13 février 2019], découvrons aujourd’hui la version pour orchestre, donnée une seconde fois après sa première mondiale d’hier matin.
On retrouve le puissant raffinement d’Illés, davantage contrasté dans un effectif plus vaste. Aux frottements furtifs, méandreuses hésitations où surgit le premier mouvement, succède une moire obstinée, d’une couleur infiniment travaillée, jusqu’à l’indéfinissable. Le geste se libère alors, donnant naissance à une volière souterraine qui se déploiera à peine – quelqu’un œuvre dans l’ombre, pour ainsi dire. Un bref motif de piano se détache en ponctuation qui invite l’extinction finale. À l’inverse, le deuxième épisode commence en force, d’énergiques vaguelettes traversant tout l’orchestre, contredites par des points, en une croisée dynamique des chemins, fluide, vivante, au fond, que rehaussent des salves fondues de cuivres. La dernière pièce s’enchaîne sur le halo résiduel de la précédente, jugulant une jacasserie insolente dans le curieux effet, quasi rewinding, de glissandos qui montent. La lecture de Meister en magnifie l’écriture subtile jusque dans le surplace pianississimo et la brève section homorythmique conclusive.
On ne joue pas beaucoup la musique de Frank Martin (1890-1974), si ce n’est Le vin herbé de temps à autres [lire nos chroniques du 28 janvier 2007, du 24 janvier 2009, du 22 avril 2014, du 2 février 2018 et de l’enregistrement de sa Messe pour double chœur a cappella]. En 1949, le compositeur suisse signait un Concerto pour sept instruments à vents, timbales, percussion et orchestre à cordes que nous entendons par les chefs de pupitres du Staatsorchester Stuttgart – Nathanaël Carré à la flûte, Ivan Danko au hautbois, Stefan Jank à la clarinette, Marianne Engelhardt au basson, Philipp Römer au cor, Sebastian Berner à la trompette et Christian Hammerer au trombone. D’inspiration assez éclectique, bien que de forme strictement classique, l’œuvre est ouverte par une péroraison rythmique stravinskienne, caractère dont elle ne se départira pas, y compris dans le développement plus lyrique. Le parfait équilibre entre solistes n’est pas le moindre mérite de la présente interprétation. Cet Allegro est suivi d’un Allegretto désolé, gelure savante d’une marche douloureuse dont la scansion, quoique dramatique, se dessine dans un recueillement inédit. Le frais bondissement de l’Allegro vivace fait la part belle à la clarinette puis au hautbois, livrant à la flûte un trait plus spécifique. Les fanfaronnades de trompettes, avec de redoutables notes répétées, donnent à l’ensemble un jour exotique. La tonicité générale se confronte à une partie épanouie de timbales.
Après l’entracte, le plateau de la Beethovensaal est envahi par le très grand effectif requis par le poème symphonique de Richard Strauss, Ein Heldenleben Op.40, conçu sept ans avant Salome où nous applaudissions cet orchestre avant-hier [lire notre chronique du 6 juillet 2019]. Dès l’entame flamboyante, l’affinité de Cornelius Meister avec la faconde straussienne ne fait aucun doute, comme en témoignait déjà la fort belle gravure qu’il réalisa de cet opus, à la tête de l’ÖRF Radiosinfonieorchester Wien. La riche opulence des masses, extrêmement travaillée, se combine à un soin minutieux du détail dans cette lecture souverainement inspirée. Après la surprise du tourniquet des bois, orientalisant, que l’on croit entendre pour la première fois tant il se détache vaillamment, la tendresse ambrée du premier violon, personnage somptueusement tenu par Elena Graf, s’impose par les virevoltes et la fantaisie. Le chef n’hésite pas à convoquer le silence, optant alors pour une approche presque opératique de la partition. De fait, Meister joue Strauss comme il respire ! À partir des fanfares de coulisse, sa verve se fait plus dru encore, toujours formidablement lyrique, jusqu’au bonheur ineffable du retour du thème initial, dans un scintillement glorieux. Loin de pontifier, cette baguette avisée parachève l’exécution dans une sobriété salutaire. Bravo !
BB