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Chroniques
Franz Schreker
œuvres pour orchestre
On ne peut que se réjouir de l’apparition d’une nouvelle intégrale orchestrale Franz Schreker dans les bacs ! Cette fois, c’est au chef israélo-étasunien Steven Sloane que nous la devons. Il est ici à la tête de ses Bochumer Sinfoniker dont il est le Generalmusikdirektor depuis 1994 et qu’il quittera en 2021 – il a pris ses nouvelles fonctions au pupitre de l’Orchestre symphonique de Jérusalem à l’automne 2019. Ce premier volume paru sous label CPO (Classic Produktion Osnabrück) fut enregistré en février 2014 à la Konzerthaus de Bochum. Il suit strictement l’ordre chronologique de composition des œuvres présentées. Ainsi l’auditeur pourra-t-il approfondir avec méthode son approche du répertoire schrekérien.
Plusieurs partitions de jeunesse étant perdues ou demeurées à l’état de manuscrit, le programme commence par la Symphonie en la mineur Op.1, écrite en 1899, dont la première eut lieu à Vienne au printemps 1900, sous la battue du compositeur. Des quatre mouvements traditionnels, elle ne compte que trois, le dernier ayant été égaré. Alors à peine âgé de vingt ans, Schreker a surtout écrit des pages chorales (il est d’ailleurs chef de chœur), comme Versunken, Schlehenblüte, le motet Auf dem Gottesacker ou la cantate pour soprano, basse, chœur et orchestre Der Holdestein [lire notre chronique de la version avec piano]. Il a également signé une dizaine de Lieder. L’influence de Mahler est une évidence dès l’Allegro non troppo de l’opus 1, dans un motif de cuivres comme dans l’élan épique et l’entrelacstructurel dont les Bochumer Sinfoniker rendent pleinement compte. La maîtrise de l’orchestration et de l’harmonie est au comble de ce que l’on pouvait attendre d’un jeune homme à l’aube du nouveau siècle, dans les sillages de Mahler, nous l’avons dit, mais encore de Brahms, voire de Dvořák, comme en témoigne ce premier mouvement. Le fin travail de nuance effectué par Sloane sculpte adroitement l’énergique Presto, sans malmener l’équilibre des pupitres ni trop alourdir la verve héroïque et contrastée du développement, à la faveur d’une certaine exubérance lyrique. Une suavité lumineuse caractérise l’Andante où surgit un chant heureux, annonciateur de ceux que le public rencontrerait bientôt dans les opéras qui firent la carrière de Schreker, célèbre en son temps.
Juste avant de s’atteler à la composition de son premier ouvrage de théâtre – Flammen, créé en 1902 –, l’artiste achève l’Intermezzo Op.8 dont les cordes, vraisemblablement tournées vers Puccini, s’avancent plus encore vers ce que serait sa production ultérieure, via ce romantisme exacerbé du Schönberg de Verklärte Nacht, strictement contemporain. On apprécie la ciselure délicate de la présente gravure. Dès les premiers pas de Festwalzer und Walzerintermezzo on comprend qu’est né le Schreker que l’on aime. Avec cette œuvre, nous voilà propulsés en 1908, lorsqu’il a presque terminé Der ferne Klang, ce qui s’entend aisément [lire nos chroniques du 19 avril 2019 et du 6 avril 2020]. Dans l’opulence générale se dessine de subtils îlots timbriques, bien qu’encore point aussi secrets qu’on les rencontrera par la suite. À ces deux valses viennoises dotées du brio attendu succède la Valse lente conçue la même année pour deux flûtes, hautbois, clarinette, basson, harpe, célesta, triangle et cordes. Son charme délicat sera bientôt celui des abords de l’île enchantée d’Alviano [lire nos chronqiues de Die Gezeichneten à Stuttgart, Salzbourg, Cologne, Lyon et Munich]. On en admire la fraîche expressivité.
Les chorégraphes viennoises Berta, Elsa et Grete Wiesenthal commandent à Schreker la musique d’une pantomime qu’elles s’apprêtent à créer à partir de la nouvelle d’Oscar Wilde The birthday of the Infanta (parue dans le recueil House of Pomegranates en 1891) – il s’agit du même sujet dont Alexander von Zemlinsky se saisira en 1919 [lire nos chroniques de Der Zwerg à Lyon, Paris, Nancy et Caen]. En une grosse semaine, le compositeur livre une œuvre de vingt minutes en neuf numéros, créée à la Kunstschau le 27 juin 1908. Écrite pour un petit effectif, elle fera l’objet d’une version pour piano à quatre mains l’année suivante, puis d’une première révision en 1910, avant d’être complètement remaniée pour grand orchestre pendant la décennie suivante : nous entendons cette mouture créée par Willem Mengelberg et le Koninklijk Concertgebouworkest, le 18 octobre 1923 à Amsterdam.
Le scintillement de Reigen fait place à un défilé pompeux, Aufzug und Kampfspiel auquel s’oppose la danse sensuelle des Marionetten dont les interprètes soignent amoureusement la tendresse. Après la séduisante naïveté du Menuett der Tanzerknaken et ses atours exquisément néobaroques surgissent l’urgence dramatique de Die Tänze der Zwerges, puis le ravissement de Mit dem Wind im Frühling, la ronde obsédante d’In blauen Sandalen über das Korn, enfin les accents spectaculaires d’Im roten Gewand im Herbst. Le raffinement est de retour avec l’envol liminaire à Die Rose der Infatin (bien que tout ironie du point de vue de l’argument théâtral), apaisé dans un délicat Nachklang final.
De la lecture de Steven Sloane [lire nos chroniques de Die Zauberflöte, Die Soldaten, A midsummer night's dream et Medea] l’on attend avec impatience le volume 2 !
BB