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Chroniques
Gaetano Donizetti
Poliuto | Polyeucte
Comptant parmi les dernières tragédies à sujet religieux du XVIIe siècle, Polyeucte martyr (1643) repose sur la vie de l’officier romain éponyme, converti au christianisme puis supplicié à Mélitène (Arménie). La pièce de Corneille inspire à ses compatriotes un ballet (Charpentier, 1679), une ouverture (Dukas, 1892) et un opéra (Gounod, 1878), mais c’est le nom de l’Italien Donizetti qui vient à l’esprit lorsqu’on évoque le saint patron des vœux et des traités.
En 1838, convalescent, le ténor Adolphe Nourrit (1802-1839) s’installe en Italie où il rencontre le créateur d’un récent Maria de Rudenz à La Fenice. Tous deux s’attellent à un ouvrage dont le Français soumet l’argument, développé par Salvadore Cammarano – déjà complice pour Lucia di Lammermoor (1835), Belisario (1836), Roberto Devereux (1837) [lire notre critique du DVD], etc. L’écriture s’étend de mai à juillet, sereinement, pour une présentation napolitaine prévue à l’automne. Mais un décret de Ferdinand II considère l’ouvrage comme sacrilège, laissant Donizetti peu surpris mais Nourrit stupéfait (« Le roi ne veut pas que la religion chrétienne soit mise en scène, soit en bien, soit en mal », écrit-il à son beau-père). Cette censure enferme dans la dépression celui qui incarna Eléazar et Raoul (La Juive, Les Huguenots) ; elle contribue au départ du compositeur pour Paris – en plus de la peur du choléra et l’amertume de ne pas décrocher un poste officiel. Là, en collaboration avec Eugène Scribe, l’héritier de Rossini adapte son dernier-né aux canons du grand opéra à la française. Les martyrs voit le jour le 10 avril 1840, lequel va mener à la version définitive de Poliuto, au Teatro San Carlo (Naples), le 30 novembre 1848 – soit huit mois après le décès de son auteur.
S’interrogeant sur l’œuvre à l’heure de la monter au Glyndebourne Opera Festival, en juillet 2015, Mariame Clément la décrit oscillant « entre un style pompeux, comme dans ces films héroïques bibliques classiques, et un style intime, comme dans un Kammerspiel ». Avec sa décoratrice Julia Hansen, elle privilégie la fluidité visuelle, la clarté des images, avec une légèreté qui équilibre l’intrigue massive. Malheureusement, assez vite cette production tourne en rond, proposant une scénographie sans intentions et des contre-sens dans l’usage d’une foule de corps vides. Pire que tout, certains effets grossiers contredisent la délicatesse d’une fosse où Enrique Mazzola [lire notre entretien], ici en charge du London Philharmonic Orchestra, dessine d’inestimables ciselures.
Doté d’harmoniques graves dans l’aigu, Michael Fabiano se montre magistral dans un rôle-titre tout en nuance, tandis que la clarté est l’atout majeur d’Igor Golovatenko (Severo). Partagée entre sa fidélité pour l’époux et un amour renaissant pour un homme donné pour mort, Ana María Martínez (Paolina) brille par la facilité d’un chant fort agile. Chacun des rivaux à un allié : le chef des chrétiens Nearco et le Grand Prêtre Callistene, que défendent respectivement Emanuele D’Aguanno, au souffle un peu court, et Matthew Rose, particulièrement stable. Timothy Robinson (Felice) complète la distribution des solistes, avec Gyulia Rab et Adam Marsden (Chrétiens). Citons enfin The Glyndebourne Chorus, préparé par Jeremy Bines.
LB