Chroniques

par bertrand bolognesi

Johannes Schöllhorn
Anamorphoses, d’après Die Kunst der Fuge de Johann Sebastian Bach

1 CD Printemps des Arts de Monte-Carlo (2017)
PRI019
Le compositeur bavarois Johannes Schöllhorn visite Bach avec Anamorphoses (2004)

Né en 1962 à Murnau, le Bavarois Johannes Schöllhorn, tel son cadet munichois Jörg Widmann (né en 1973), bien qu’avec des procédés différents, aime à visiter la production des maîtres anciens. Ainsi achevait-il en 1992 ses Marien-Lieder à partir de chants religieux alors redistribués à trois mezzo-sopranos, en 1994 l’adaptation accordéon, clarinette basse et contrebasse de pages du Florentin Francesco Landini (ca.1335-1397), sous le titre Madria, ou encore l’orchestration, en 2004, de Fünf Lieder von Franz Schubert, sans compter sa fréquentation tant assidue que critique et surtout créative des formes d’antan – barcarolle, chanson, madrigal, nocturne, prélude, etc. Vraisemblablement attiré par la musique de Pierre Boulez, il s’emparait en 1992 d’un fragment d’...explosante-fixe... et livrait Berstend-starr pour ensemble [lire notre chronique du 21 septembre 2006]. Neuf ans plus tard, il signait une passionnante instrumentation des Douze notations que le Français écrivit pour le piano en 1945 [lire notre chronique du 28 février 2016].

Anvers, 1er février 2002. À la tête d’Ictus, commanditaire de l’œuvre, Georges-Elie Octors crée Anamorphoses pour ensemble (révisé en 2004) dont le titre annonce clairement le projet esthétique, en référence au procédé bien connu des plasticiens maniéristes italiens des XVe et XVIe siècles. Ici, Schöllhorn approche les contrepoints de l’Art de la fugue de Johann Sebastian Bach (Die Kunst der Fuge BWV 1080, ca.1739/45) où le sujet voit sans cesse renouvelé son développement, l’auteur regardant volontiers les manières baroques fondatrices (comme ces pavanes qui, au siècle précédent, avaient donné naissance à l’ouverture à la française, par exemple). Bach n’ayant pas précisé à quel(s) instrument(s) il destinait ce recueil qui s’interrompt brutalement au cœur du dix-neuvième contrepoint, c’est en toute liberté que notre contemporain lui attribue un groupe de douze musiciens où les vents dominent – accordéon, clarinette, clarinette basse, cor, trompette, trombone, tuba, violon, alto, violoncelle, contrebasse et piano. Cette collection, comme dit le compositeur lui-même, fut plus tard agrandie de trois nouveaux mouvements, Dias, koloriert (2010), créés en 2011 par l’Ensemble Modern. Après la première écoute que nous en avions eu à la Cité de la musique (Paris) où Patrick Davin dirigeait l’EIC [lire notre chronique du 20 septembre 2012], nous redécouvrons ce bel opus dans l’interprétation du Remix Ensemble Casa da Música de Porto, formation régulièrement saluée dans nos colonnes [lire nos chroniques du 26 février 2010, du 25 septembre 2010, du 19 avril 2016 et du 20 octobre 2017].

Si, en de nombreux moments de ce CD, l’on peut vérifier une sorte de cousinage de la démarche générale avec certains aspects du travail de Gérard Pesson (Contrapunctus VI, surtout), lui aussi coutumier du ravissement de l’ancien par un aujourd’hui ouvert et toujours en quête, mais encore des extensions habitées de ce que l’on pourrait dénommer un humour postmoderne (Canon in hypodiapason, par exemple), l’orbe spéculaire de Schöllhorn dépasse la distorsion, encore effective dans Contrapunctus VIII, par la dislocation : à ce titre, l’épisode le plus probant en ce qu’en émerge le plus vaste trouble est Contrapunctus IV. Parce que le compositeur précise que les mouvements peuvent être donnés dans n’importe quel ordre, osons conseiller la suite 2-1-7-3-4-6-8-5-2, répétant ce fascinant Contrapunctus IV, plutôt que la combinaison proposée (les numéros sont ceux des pistes de l’enregistrement), notre goût personnel favorisant le mystère. Le label discographique du Printemps des arts de Monte-Carlo [lire nos chroniques des albums Ives, Filidei-Lazkano-Srnka, Treize miniatures et Monnet] peut à raison s’enorgueillir de ce titre subtilement dirigé par l’excellent Peter Rundel [lire nos chroniques du 10 novembre 2007, du 5 novembre 2008, du 3 mars 2017, des 29 avril et 21 octobre 2018, enfin du 24 avril 2019].

BB