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Chroniques
récital Des Équilibres
Cras – Ermend-Bonnal – Roussel
Créé en 2006, l’ensemble Des Équilibres réunit plusieurs artistes voulant explorer le répertoire du duo à l’octuor, de la période classique à nos jours, avec une prédilection pour les chemins de traverse et les créateurs méconnus. Après un premier enregistrement consacré à Sándor Veress (Quatuors n°1, et le n°2 en première mondiale) [lire notre critique du CD], puis un deuxième à Bartók (Quarante-quatre duos pour violons), la formation s’intéresse aujourd’hui au trio français, avec la mer comme ligne d’horizon – Agnès Pyka (violon), Blandine Leydier (alto), Armance Quéro (violoncelle).
Orphelin à l’âge de sept ans, Albert Roussel (1869-1937) se réfugie dans les livres de Jules Verne qui lui donnent envie de devenir marin. Il entre à l’école navale en 1887 mais, après avoir servi quelques années, une santé fragile l’oriente vers la musique. En 1898, il s’inscrit à la Schola Cantorum (Paris) où il finit par enseigner à son tour le contrepoint – parmi les élèves de ses leçons institutionnelles ou privés, notons Goué, Le Flem, Krása, Martinů, Satie et Varèse. À l’aube des années trente, l’auteur de Padmâvatî (1923) [lire notre chronique du 20 mars 2008] est consacré chef de file de la nouvelle école française, musicien à l’harmonie raffinée et aux rythmes audacieux, depuis longtemps libéré de l’influence de D’Indy, son professeur d’orchestration.
Dernière de ses œuvres qu’il put entendre, à quelques mois d’être inhumé au bord des falaises de Varengeville-sur-Mer, le Trio à cordes Op.58 est créé le 4 avril 1937. Cette commande du Trio Pasquier s’ouvre sur une allégresse presque sérieuse, qui craint de déborder. Mais passé un Adagio entre nostalgie et abattement, éclate une joie franche, presque taquine, qui met un terme à l’opus le plus court du programme (environ d’un quart d’heure).
Contrairement à Roussel, Jean Cras (1879-1932) a passé toute une vie à naviguer (d’enseigne de vaisseau jusqu’à contre-amiral), en partie convaincu par les conseils d’Henri Duparc. Plus d’une fois, l’ersatz paternel l’invite à la patience et au recul, comme ce 26 mai 1904 : « pour un vrai artiste l’art ne consiste pas à écrire quelques pages de musique de plus ou de moins ; il consiste avant tout à élever et à ennoblir l’âme qui s’exprimera et se donnera dans la musique ; et, à ce point de vue, peut-être ce service, que vous faîtes si bien tout en ayant l’idée de le quitter, vous est-il plus utile que d’avoir fini votre trio » (in Lettres à Jean Cras, Symétrie, 2009) [lire notre critique de l’ouvrage].
La pièce entendue ici n’est pas celle évoquée par Duparc – sans doute le Trio en ut majeur n°2 (1909), alors jugé « très français d’allure » par Le courrier musical, et qui nécessite un piano tout comme le Trio n°1 « Voyage symbolique » (1899) –, mais le Trio à cordes n°3. Composé à bord d’un Lamotte-Picquet tout juste mis à flots, il voit le jour entre mars et juin 1926, porté par l’envie de « donner l’impression de plénitude ». Le bonheur lumineux du début, puis un Lento entre recueillement et langueur indigène mènent à l’entrain, quasi folklorique dans un premier temps, des dernières sections.
Connu comme directeur de conservatoire à Bayonne et organiste dans diverses paroisses, Joseph Ermend-Bonnal (1880-1944) est aussi « un poète ému par la nature », selon les mots de Louis Vierne. Très attaché au Pays basque, ce Bordelais qui avait fui Paris confie : « j’aime ses montagnes, son ciel, sa mer, ses falaises et ses rochers, le mystère de son antique passé, la noblesse et l’esprit de tradition de sa race » (1938). Il se méfie pourtant de l’emprunt folklorique, comme le prouve son Trio à cordes de 1934 qui débute sur une tendre clarté scintillante, associée au fleuve Bidassoa. Moins fluide, Navarra salue cette terre d’Espagne avec âpreté et caractère. Enfin Rhapsodie du Sud s’avère un final virtuose, coloré et joyeux, comme l’indique son nom, avec un brin d’introspection, une touche maghrébine.
LB