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Chroniques
récital Trio Catch
Borowski – Juon – Pesson – Rihm – Staud – Žuraj
Outre retrouver l’excellent Trio Catch [lire nos chroniques du 28 avril 2018 et du 9 février 2020, ainsi que nos critiques des CD Beat Furrer et In Between], cette récente publication bastille musique – le label livre ses éditions dans un précieux packaging – offre une nouvelle immersion dans les univers de compositeurs qui nous sont chers. Souvent tourné vers la musique de Wolfgang Rihm (deux albums : Dort wie hier et Goethe-Lieder), bastille musique conclut ce disque par la Kleiner Walzer par laquelle le maître de Karlsruhe signait en 2004 une sorte de souvenir de ses propres Mehrere kurze Walzer, une vingtaine d’aphorismes pour piano à quatre mains conçus entre 1979 et 1988 comme clins d’œil à la valse, embourgeoisement d’un divertissement populaire. Pour cette Petite valse, qui des pièces de notre siècle ici présentées s’avère la plus ancienne, Andreas Staier rejoint Sun-Young Nam au clavier. Non sans une sensualité volontiers désuète, le Trio Catch s’amuse avec Rihm des ombres de Schubert, Brahms et Chopin, dans ce tendre pastiche.
En écho à cette plongée dans le passé, Boglárka Pecze (clarinette), Eva Boesch (violoncelle) et Sun-Young Nam explorent la faconde romantique du rare Paul Juon. Né à Moscou en 1872 dans une famille d’origine helvético-lettone, cet élève d’Arenski et de Taneïev concentra sa production sur le répertoire chambriste – principalement des recueils pour piano solo, des œuvres pour violon et piano, plusieurs quatuors à cordes, trios et quintettes, etc. –, osant à peine trois Épisodes Concertants pour violon et orchestre, quelques concerti ainsi que deux symphonies. Revisitant trois des neuf Satyre und Nymphen pour piano édités à Berlin en 1901 et l’un des cinq Neue Tanzrytmen à quatre mains parus trois ans plus tard dans la même maison (Schlesinger), Juon invente en 1920 ses Trio-Miniaturen. Après la dolente Rêverie dans une vêture délicatement fauréenne, Humoreske déploie des charmes festifs quand Élégie semble s’ingénier à réunir Brahms et Rachmaninov. Indiquée quasi valse lente sur l’original (Op.24 n°2), la brève Danse fantastique déchaîne des accents rhapsodiques contrastés.
Longtemps symbole du pouvoir impérial au Japon et encore actuellement celui de longévité en Chine, le chrysanthème est par chez nous la fleur automnale à déposer sur les tombes. Alors qu’il invente son trio pour clarinette, violoncelle et piano, Vito Žuraj [lire nos chroniques de Fired Up, Tension et Quadriptyque] apprend la disparition, survenue le 15 novembre 2014, du musicologue et homme de radio Armin Köhler qui, depuis 1992, dirigeait les Donaueschinger Musiktage. La nouvelle bouleverse le travail en cours que l’artiste slovène décide alors de dédier à la mémoire du défunt. Chrysanthemum est créé par le Trio Catch le 25 janvier 2015, à Berlin. Ouverte par un savant relais de timbres à partir d’un mélisme clarinettistique tout de souplesse, l’œuvre avance comme une danse rituelle d’abord discrète et de plus en plus prégnante, sans qu’au piano soit permis des sons pleinement affirmés – une préparation entrave toute brillance et fait comme reculer sa naturelle impédance. Dans cet univers raffiné s’impose la subtilité d’invention de Žuraj.
Le musicien autrichien Johannes Maria Staud conçut en 2015 Wasserzeichen à partir d’une page pour grand effectif, Auf die Stimme der weißen Kreide, alors récemment achevée, qui s’y reflète en scintillant « tel le filigrane [Wasserzeichen, en allemand] d’un manuscrit ancien lorsqu’on a le soin de le placer dans la lumière », précise Staud (notice du CD). De ce compositeur ô combien passionnant [lire nos chroniques de Die Antilope et de Contrebande (On Comparative Meteorology II)], le trio contrasté, souvent intrigant, ravit l’écoute dans un chemin dense que trace une ferme opposition de climats, surenchérie par l’usage de la clarinette basse et d’effets multiphoniques, entre épaisseur du trait et sibylline diaphanéité.
Dans Jenseits des Lustprinzips (1920), Freud relate l’observation du trauma provoqué sur son petit-fils par l’aléa présence/absence de sa mère, alternance mise en récit par l’enfant lorsqu’il joue au yoyo en parlant pour la première fois, prononçant les mots Da (ici) et Fort (loin) comme des imprécations. De sa Catch Sonata entendue avec plaisir par ses dédicataires au Festival d’automne à Paris, l’an dernier [lire notre chronique du 7 octobre 2019], Gérard Pesson suggère que les allers-retours (trois mouvements, titrés Fort – Da – Fort) réverbèreraient également la peur face à l’idée musicale. Dans ses nuances infimes traversées par plusieurs brèves ritournelles, nous en approchons les arcanes de l’autre côté d’une vitre embuée qui en préserve l’intime secret. En réunissant les six pièces de son programme sous le titre As if, ce CD emprunte à l’œuvre éponyme de Johannes Boris Borowski (2017). Le compositeur allemand [lire nos chroniques de Klaviertrio, Change et Allein, de même que notre critique de la monographie discographique parue chez Wergo] tente là de formaliser en musique la conjonction grammaticale britannique – comme si en français, en allemand als ob. Une faconde joueuse et drue, parfois référencée, suscite d’énergiques volte-faces de la perception que ponctuent des silences expectatifs.
BB