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Catégorie rarissime dans la programmation du Festival d’Aix-en-Provence, le ciné-concert proposé au public n’a sans doute pas rencontré le succès d’affluence attendu – avec une salle du Grand Théâtre de Provence très dégarnie –, mais la formidable qualité artistique est saluée avec enthousiasme par tous les heureux présents. La manifestation a mis à son affiche le chef-d’œuvre Metropolis, film de Fritz Lang de 1927 accompagné par la musique originale composée par Gottfried Huppertz. C’est le Philharmonia Orchestra, formation séjournant actuellement à Aix pour les représentations d’Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny [lire notre chronique du 9 juillet 2019], qui prend place sur scène devant l’écran, sous la direction du chef allemand Franck Strobel, spécialiste des ciné-concerts [lire nos chroniques de J’accuse (Abel Gance) et de Berlin, die Sinfonie der Großstadt (Walther Ruttmann)], remplaçant Esa-Pekka Salonen annoncé précédemment.

Le compositeur Gottfried Huppertz (1887-1937) [lire notre chronique de Die Nibelungen et notre critique du CD] fit partie intégrante du projet cinématographique, à l’intérieur de l’équipe dès la préparation du film, jusqu’à son montage. Dès la première partie, Auftakt (Ouverture), la partition illustre parfaitement les situations, comme ces mesures répétées accompagnant les machines infernales qui tournent, ainsi que le mouvement des aiguilles d’une horloge limitée à dix heures, la durée du travail de chaque poste. C’est aussi une musique saccadée qu’on entend pour marquer l’avancée résignée et inexorable des travailleurs vers la cité ouvrière, avant davantage de douceur et de romantisme pour les scènes entre Freder, le fils du tyran Fredersen, et la belle Maria dont il tombe amoureux. Les machines sont rythmées par des percussions et des cuivres lancinants, la montée en température s’accompagne d’un crescendo orchestral avant l’explosion de la machinerie, puis la vision de Moloch, machine qui avale ses ouvriers. Une dominante de brillant marque plus tard les images de la ville du futur, des gratte-ciels, des routes embouteillées, mais on entend aussi quelques accents clairement jazzy ou de cabaret pendant les séquences dans la cité du vice. La couleur musicale est plus féerique dans les catacombes, là où Maria officie en une sorte de grande prêtresse, tandis que le savant fou Rotwang et son homme-machine sont l’occasion de passages bien plus menaçants.

Les deux parties suivantes sont musicalement encore supérieures, d’abord au début du Zwieschenspiel (Intermède), où l’on entend une musique d’église à l’orgue, puis une vraie tension qui marque le suspense lorsque Freder se rend chez le savant fou pour libérer sa belle. Beaucoup de leitmotiv reviennent tout au long de la partition. Dans la troisième partie, intitulée Furioso, on perçoit même très clairement quelques accords répétés de La Marseillaise, quand la fausse Maria – vrai homme-machine – appelle à la révolte… mesures particulièrement bienvenues pour un 14 juillet ! Quelques sons illustrent directement l’image, comme le gong qu’on frappe pour lancer l’alerte d’inondation de la ville souterraine ou encore la cloche qui sonne quand la vraie Maria se suspend à la corde. La bagarre finale entre Freder et Rotwang est digne, aussi bien à l’écran que dans les oreilles, des meilleurs James Bond, ceci avant une conclusion plus sirupeuse aux cordes : les amants peuvent enfin s’embrasser, et le médiateur Freder parvient à réconcilier son patron exploiteur de père et le contremaître, les deux se serrant la main.

Le Philharmonia Orchestra se montre très attentif au rythme impulsé par le chef, en charge de la synchronisation avec l’image. Le son dégagé par l’ensemble est d’une forte puissance. Plus qu’un accompagnement, la musique prend dans ces conditions une place de tout premier plan, ici jouée par un orchestre de luxe.

IF