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Chroniques
Ночь перед Рождеством | La nuit de Noël
opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov
Rarement donné sur les scènes occidentales, La nuit de Noël de Nikolaï Rimski-Korsakov demeure pourtant l’un des plus savoureux joyaux du répertoire russe. Inspirée de la nouvelle irrévérencieuse de Nikolaï Gogol (Les veillées du hameau, 1832), l’opéra, dont la composition commençait en 1894 pour s’achever l’année suivante, en reprend l’humour grinçant, le pittoresque villageois, les embardées fantastiques où sorcières, cosaques et démons se mêlent aux aspirations très humaines des amoureux. C’est précisément cette fantaisie tendre, moqueuse, volontiers absurde, créée le 10 décembre 1895 au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, que Barrie Kosky embrasse avec une jubilation contagieuse. Après avoir triomphé à la Komische Oper de Berlin avec La foire de Sorotchintsy de Moussorgski [lire notre chronique du 22 avril 2017] dont on garde un souvenir inénarrable, le metteur en scène australien retrouve à Munich un terrain de jeu idéal où revisiter le folklore, déployer son imaginaire parfois extravagant, tout en affirmant une humanité contrastée.
Construite comme un vaste kaléidoscope hivernal, la mise en scène superpose apparitions grotesques, tableaux chorégraphiques et frasques poétiques. D’abord nu, le décor s’ouvre peu à peu comme un théâtre d’illusions, avec rideaux coulissants, passerelles, scènes de plein air stylisées. Éclatants de couleurs généreuses, les costumes mêlent broderies traditionnelles et tenues presque carnavalesques, dotant chaque protagoniste d’une silhouette immédiatement reconnaissable en son archétype. Kosky dirige ses acteurs avec la précision d’un chorégraphe, démultipliant les mouvements circulaires du village, les surgissements volontiers acrobatiques du démon, le glissement onirique lors des envolées célestes. Formidablement rythmé, le résultat respire la malice et une tendresse profonde pour ce monde bigarré. Dans cette réussite incontestable, la magie du conte rencontre une lecture théâtrale dont la cohérence s’impose.
Côté voix, la distribution brille par son homogénéité et par la qualité de ses incarnations. En Oksana, Elena Tsallagova offre un timbre lumineux, souple et incisif, qui traduit aussi bien le caractère capricieux que l’émoi naissant de son personnage [lire nos chroniques de The rape of Lucretia, Die schweigsame Frau, Medea in Corinto, Siegfried, Falstaff, Pelléas et Mélisande, La Calisto, Le prophète, Larmes de couteau et La Juive]. Face à elle, Sergueï Skorokhodov campe un Vakoula de fort belle tenue, grâce à un phrasé aérien, une ligne de chant toujours admirablement conduite et une palette expressive d’une grande finesse. Il habite le rôle avec une générosité irrésistible [lire nos chroniques d’Iolanta, Das Rheingold, Boris Godounov et Le nez à Paris puis à New York]. Solokha, la sorcière, est confiée au talent d’Ekaterina Semenchuk dont séduisent la splendeur du registre grave, la chaleur du timbre et une malice jubilatoire qui lui donne une présence vraiment savoureuse [lire nos chroniques de Requiem Op.89, Il trovatore, Les Troyens à Paris et à Munich, Macbet, enfin Hériodiade]. Les rôles de caractère ne sont pas en reste, avec Dmitri Ulyanov qui impose un Tchoub solidement projeté, plein de relief et d’autorité bonhomme [lire nos chroniques de The Saint of Bleecker street, Lady Macbeth de Mzensk à Salzbourg puis à Paris, Le prince Igor, Sadko, Le coq d’or, Don Carlos et Khovantchina], mais aussi avec l’immense Sergueï Leiferkus qui distille en Maire une prestance mordante. La partie du diacre Ossip revient à Vsevolod Grivnov qui en souligne la vis comica, alliant puissance vocale et articulation exemplaire [lire nos chroniques d’Oprichnik, Le chevalier avare et Les souliers fantaisie]. Enfin, la Tsarine de Violeta Urmana illumine sa brève apparition de cette noblesse de ton qui lui est propre. Chacun de ces artistes, jusque dans les plus petits rôles, contribue à illustrer pleinement la truculente galerie gogolienne.
En fosse, Vladimir Jurowski – le maître des lieux – dirige avec une énergie radieuse et un exceptionnel sens du détail rythmique. Sous sa battue tonique, le Bayerische Staatsorchester réaffirme un éclat chamarré, magnifié par la ciselure des bois, l’efficacité des cuivres et la transparence des cordes. Souvent difficiles à intégrer dans le flux de cette partition foisonnante, les transitions coulent aujourd’hui avec naturel et vivacité. Le Chœur maison, dont il faut saluer l’exemplaire discipline, associe puissance populaire et raffinement polyphonique, véritable moteur dramatique de cette soirée festive.
Conquis dès les premières minutes, le public bavarois ne s’y trompe pas : la capacité de Barrie Kosky à transformer le fantastique gogolien en un total plaisir théâtral fait l’occasion d’un enthousiasme réjouissant. Et lorsque le démon, aussi bête que vaniteux, se retrouva piégé par les petites ruses humaines, la salle entière est enchantée par ce triomphe populaire où malice, musique et poésie se donnent la main.
KO
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