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Орлеанская дева | La pucelle d’Orléans
opéra de Piotr Tchaïkovski
Créé deux ans après Eugène Onéguine, La pucelle d’Orléans de Tchaïkovski ne fait pas partie du répertoire courant des maisons occidentales. On compte pourtant une ou deux productions par saison, essentiellement en terre germaine, plus friande de ces curiosités. Un peu plus de trois ans après la focale psychologique contemporaine de Lotte de Beer au Theater an der Wien [lire notre chronique du 27 mars 2019], Elisabeth Stöppler [lire notre chronique de Der goldene Drache] resitue l’ouvrage dans une lecture plus proche de l’héroïsme hérité du drame éponyme de Schiller, de l’adaptation d’Auguste Mermet pour son opéra homonyme et de la biographie d’Henri Wallon qui servirent de matériau au livret du compositeur qui, dans une tradition romantique vraisemblablement peu regardante sur les risques apocryphes, ne manque pas de mêler une intrigue de cœur à la geste politico-mystique – symptomatiquement, la condamnation au bûcher se fonde sur l’accroc de l’héroïne à la chasteté au moins autant que sur le procès en sorcellerie initié par son propre père : ce n’est pas la trouvaille la plus limpide de l’intrigue.
Dans un unique décor grisâtre aux allures de nef luthérienne dessiné par Annika Haller, la metteure en scène allemande inscrit le destin de Jeanne d’Arc sous la pression visible des pouvoirs militaires et religieux. Le refus d’une stricte historiographie se retrouve dans la relative actualisation des costumes de Su Sigmund et dans une armurerie non médiévale, sans effacer cependant le contraste entre l’armée et le civil, ni s’interdire hermines royales ou cottes de mailles. C’est avec l’appui des lumières de Volker Weinhart que sont représentées les flammes du bûcher. Équilibrant la solitude et le désarroi de la croyance de Jeanne en sa mission avec la puissance de la foule, nullement négligée par la partition, l’ensemble présente l’avantage du suivi linéaire d’un ouvrage trop rare pour autoriser les interprétations excentriques. Si la trajectoire du personnage est assez bien mise en avant, les faiblesses du livret ne sont guère comblées – on sent un fumet rémanent d’artifices conventionnels dans le retournement des péripéties avec Lionel de Bourgogne.
Cette force irradiante de la Pucelle doit beaucoup à celle de son interprète. Maria Kataeva ne se contente pas de faire rayonner l’intensité de la révélation lors d’une scène qui rappelle la commotion de Tatiana au moment d’écrire la lettre à Onéguine. La vaillance de l’émission et l’éclat du timbre façonnent une incarnation hautement investie tout au long de la soirée, sans jamais céder aux facilités monolithiques des décibels [lire nos chroniques du Comte Ory et de Tra rondò e tournedos].
Autour de cette figure de proue quelque peu isolée par le piédestal qu’exige la partition, le reste du plateau n’est nullement écrasé. On retiendra la solidité mordante du Dunois campé par un Evez Abdulla à la carrure certaine [lire nos chroniques de Macbet, Otello et L’enchanteresse]. Richard Šveda fait évoluer l’élan guerrier de Lionel vers la ferveur amoureuse pour Jeanne, que son père, Thibaut d’Arc, renie avec la rudesse de Kakhaber Shavidze [lire nos chroniques de Lohengrin et de Royal Palace]. En Raimond, Aleksandr Nesterenko ne se fait pas faute de mettre en avant une autorité qui fait défaut au Charles VII, perdu dans les mondanités de cœur, campé par Sergueï Khomov qui comble les attentes d’un ténor de caractère [lire notre chronique de Boris Godounov] face à sa maîtresse, Agnès Sorel, rôle dévolu à la voix ronde de Luiza Fatyol [lire nos chroniques de Romilda e Costanza et du Philtre]. Alexeï Botnarciuc accuse passablement la nasalité émérite du Cardinal [lire nos chroniques de Salome et de Nabucco], tandis qu’Alexander Fedin s’illustre en confesseur tout à fait en situation [lire notre chronique de Wozzeck]. Remplaçant de dernière minute, Baurzhan Anderzhanov affirme, sur le bord de scène, un Bertrand vigoureux [lire notre chronique de Moïse et Pharaon], mimé par Haitham Assem Tantawy.
Préparé par Gerhard Michalski, le Chœur participe à la chamarre d’une fresque conduite avec un sens constant de l’expression épique par un Péter Halász n’oubliant pas non plus l’épanchement sentimental où se reconnaît la veine de Tchaïkovski [lire nos chroniques de Der Freischütz et de Das Rheingold].
GC