Recherche
Chroniques
Avant la fin… vers où ? d'Hèctor Parra
Ludovic Morlot dirige l’Orchestre national de Lille
Entre le concert Hindemith–Bartók–Chostakovitch de jeudi dernier [lire notre chronique du 27 janvier 2022] et celui qui réunit, ce soir au Nouveau Siècle, des œuvres de Boulanger, Parra, Ravel et Stravinsky, nous n’arrivons pas dans la même ville, semble-t-il. Au sortir de la gare Flandres, quelle surprise que de débarquer au milieu de soldats et de policiers, armés jusqu’aux dents, non seulement concentrés autour de ce lieu de haut danger mais encore à chaque coin de rue. D’uniformes farouchement bandés en barrières d’interdiction d’accès, d’autocars et voitures de police, jeeps et camions militaires, sans oublier les inévitables minibus VIP, le parvis de l’opéra est parfaitement verrouillé, de même que la Grand’Place. Le temps d’aller déposer ses effets à l’hôtel et voilà le chroniqueur musical en route pour le Musée des Beaux-arts qui présente une grande expositions Goya… Nouvelle surprise : outre la foultitude de muscles bleu-marine et marron-kaki dans toute la cité, l’édifice est bouclé par une quarantaine de fourgons tous munis de leur personnel. Adieu donc, Goya ! Casques, bottes et canons protègent ton œuvre des regards du citoyen afin qu’un chef d’État, nommé par le Très-Haut plutôt qu’élu, croit-il, macule en toute quiétude la toile de son regard de lapin rance, tandis qu’un violeur de ses amis préside non loin de là le conseil des ministres de l’intérieur des pays européens.
À la nuit tombée, et passé la déception d’être si proche d’une exposition qu’il ne verra point, le même chroniqueur gagne l’auditorium où retrouver Ludovic Morlot [lire nos chroniques du 28 octobre 2009, du 30 novembre 2010 et du 19 avril 2013] au pupitre de l’Orchestre national de Lille, pour une soirée ouverte par D'un matin de printemps de l’éternellement jeune compositrice Lili Boulanger (1893-1918). De sa richesse de sonorité héritée de Dukas et son lyrisme droit venu de Debussy, on goûte la gracieuse épaisseur timbrique dont le chef fait habilement redécouvrir les demi-teintes, ici plus chatoyantes que jamais.
En résidence à l’ONL il y a quelques années, le compositeur catalan Hèctor Parra demeure un invité apprécié qui tissa des liens fort avec la phalange lilloise, ses musiciens mais aussi son public. Aussi les uns et les autres se rejoignent-ils avec la première française d’Avant la fin… vers où ? (2017) issu de Te craindre en ton absence, monodrame conçu à partir d’une pièce de Marie NDiaye que nous découvrions en 2014 au Théâtre des Bouffes du nord. Parra abandonne désormais l’effectif chambriste à la faveur de cette vastitude instrumentale pleine de saveur qu’il maîtrise à merveille. Engagée sur une pédale parsemée de franches multiphoniques et de saturations discrètes (hautbois, flûtes, bassons, contrebasson), l’œuvre est ponctuée par l’insistance des percussions/bois avant de débuter un grand continuo enrichi d’incises diverses. L’idée du suivi d’une narration dramatique, à l’instar de La mort i la primavera que nous applaudissions il y a quelques jours [lire notre chronique du 26 janvier 2022], convoque une palette expressive volontiers contrastée. D’une facture très raffinée, le présent opus réinvente un ressassement cyclique parfois aussi pleinement âpre qu’un ressentiment remâché où pourtant le chant s’élève, telle la réconciliation, peut-être [lire notre entretien du 18 janvier 2022].
Deux célèbres pages du premier XXe siècle occupent la seconde partie de la soirée. À commencer par le Concerto en sol de Maurice Ravel dont Ludovic Morlot souligne la tonicité non sans quelque brutalité. De fait, c’est presque exclusivement la teneur jazz de l’Allegramente qui semble recueillir ses soins, ce qui, pour n’être certes point injustifiable se révèle tout de même trop réducteur. À l’inverse, Bertrand Chamayou distille au clavier une exquise onctuosité, partagée avec le jardin enchanté de la harpe. Le tendre solo de l’Adagio médian déjoue le dépouillement attendu par une emphase plus apparentée aux opulences dix-neuvièmistes qu’au souvenir mozartien. Le Presto s’affiche trop caf’conc’ pour notre goût. Le soliste livre un bis joliment ciselé avec la Pavane pour une infante défunte. Les limites de l’acoustique du Nouveau Siècle, pressenties depuis le début du concert, se font sentir dans la Suite de L’oiseau de feu de Stravinsky. L’heureux équilibre entre qui se laisse apprécier depuis le parterre subit une déperdition certaine en mezzanine, surtout sensible pour les cordes, tandis que vents et percussions s’y trouvent radicalement amplifiés. Difficile, dès lors, de mesurer ce qui, dans l’insatisfaction de cette fin de concert, appartient à cette condition ou à l’interprétation.
BB