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Chroniques
Der Tribun | Le tribun
Hörspiel de Mauricio Kagel (suivi de Finale)
En juin dernier, The Guardian rapportait ces propos de Robert Mugabe, président du Zimbabwe depuis 1987 : « On ne va pas abandonner notre pays à cause d'une petite croix mise sur les bulletins de vote. Comment un stylo-bille peut-il battre un fusil ? » Dans une certaine mesure, c'est pourtant facile : en se plaçant dans la main d'un créateur engagé, à l'instar de Mauricio Kagel (1931-2008) écrivant Der Tribun – terme qui désigne, au sens propre, un magistrat ou un officier romain et, au sens figuré, quelqu'un qui sait bien parler devant le peuple.
Fils d'émigrés juifs arrivés en Argentine dans les années vingt, le musicien sait de quoi il parle quand il évoque la dictature, puisque son pays serait, des années durant, aux mains des militaires. Ainsi, on dénombre quinze milles incarcérations d'opposants politiques et six mille exécutions pour la seule année 1978 qui voit Kagel réagir par cette pièce de trois quarts d'heure sous-titrée Dix marches et neuf contretemps pour manquer la victoire.
Mis en scène par Jean Lacornerie, Bernard Bloch se prépare dos au public, tandis qu'un cameraman saisit son visage, lequel occupe tout l'écran placé en fond de scène. Les phrases sont lâchées par bribes, comme hésitantes, avant de devenir plus franches lorsque le politicien rejoint sa tribune, face à la foule. Lui fait-elle face, d'ailleurs, cette foule, puisque ses interventions « top ! stop ! », déclenchant l'avance et l'arrêt d'une bande-son sur laquelle crépitent des applaudissements, font finalement douter du caractère publique du discours ? Pour le spectateur, peu importe, alors, qu'il s'agisse d'une répétition, puisque l'essentiel est de remarquer ces gestes stéréotypées accompagnant des concepts qui ne le sont pas moins – frontières, nations, ennemis, etc. La démagogie est toujours là pour flatter « une nation unique de gens qui peuvent », souvent au détour de phrases mielleuses telles que « Je ne voudrais pas d'un autre peuple » ou « Je vous aime sans agitation », qui disent n'avoir aucun lien avec la propagande. Entre temps, veste blanche sur habits noirs, les huit musiciens de l'Ensemble 2e2m se sont installés, et livrent ponctuellement une parodie de marches et d'hymnes de pacotille.
En deuxième partie de soirée est donnée Finale, une pièce ironique créée à Cologne le 4 décembre 1981, que le compositeur autodidacte s'est offert pour ses cinquante ans. Devant ses musiciens dont le nombre a doublé, Pierre Roullier rappelle l'attachement de Kagel à cette œuvre qu'il souhaitait « belle et tragique ». On pourra ajouter désuète, tant par les réminiscences postromantiques des cordes, celles de cuivres stravinskiens, que par l'intervention tranchée, à mi-chemin de l'exécution, de klaxons qu'actionne un percussionniste marchant sur une plaque métallique. Et puis, si le compositeur peut – à juste titre, parfois – vouloir la peau du chef, le plus simple aurait été d'écrire un quatuor…
LB