Chroniques

par gilles charlassier

Gadenstätter, Maresz, Manoury, Scroccaro et Verunelli
par Florentin Ginot, Jean-François Heisser, Krassimir Sterev

ManiFeste / Centre Pompidou, Paris
- 25 juin 2022
création de "In bianco e nero" de Francesca Verunelli au festival ManiFeste
© dr

Les notes d’intention des compositeurs sont parfois un symptôme qui permettrait d’anticiper ce que l’oreille va affronter. Celle que Clemens Gadenstätter (né en 1966) a rédigée pour la commande qu’il a reçue de la part de l’Ircam et de Musik der Jahrhunderte l’illustre. Le propos tient de la conception d’une autobiographie en musique, à partir de généralités philosophiques, du penser plutôt que du faire. Le résultat : 4 studies for selfportraits in surroundings qui superpose, pendant une prolixe demi-heure, une grisaille assez conventionnelle à l’accordéon sur un mélange de sons fixés et d’informatique en temps réel formant comme un paysage d’arrière-plan au soliloque du soliste, Krassimir Sterev (à qui la pièce est dédiée).

La deuxième création du programme, I sing the body electric de Claudia Jane Scroccaro (née en 1984) contraste par une approche matérielle, sinon sensuelle, de l’art des notes – et le discours préliminaire de la compositrice dans la brochure de salle s’en ressent, conjuguant une fascination pour le jeu de l’interprète, Florentin Ginot [lire nos chroniques du 16 juin 2016, du 28 septembre 2017, du 25 septembre 2018, du 8 septembre 2019 et du 1er juillet 2021], et la citation d’un poème de Walt Whitman donnant son titre à la partition. La plongée dans la texture des cordes, avec une couleur qui se confond avec les sons de synthèse, s’appuie sur une maîtrise instrumentale magistrale et un imaginaire nourri par le bois de la contrebasse. Ainsi l’auditeur est-il enveloppé de sensations qui peuvent évoquer le roulis d’une carène de navire : en un quart d’heure, ce fruit du cru 2020 du Cursus de composition et d’informatique musicale de l’Ircam invite à un voyage sonore qui rappelle que la musique mixte est aussi affaire de sensibilité tactile.

Ce n’est pas Francesca Verunelli qui contredira ce simili-apophtegme…
Commande d’Annie Clair et de l’Ircam, In bianco e nero témoigne de l’orfèvrerie de l’écriture de l’Italienne, l’une de ses marques de fabrique. Le dessin de la ligne de la contrebasse et de l’accordéon est ciselé avec une pureté exceptionnelle, que relaie un dispositif électronique calibré avec une admirable précision. Dans une comparaison avec l’opus précédent, le savoir-faire évident prendrait peut-être quelque ascendant sur l’inspiration stricte, mais cette jubilatoire exploration du grain instrumental et la clarté formelle ne sauraient se bouder. Le métier de Verunelli [photo] est l’un des plus accomplis sur la scène contemporaine, et cette ouvrage le confirme [lire nos chroniques de Play, Cinemaolio, Déshabillage impossible et Man sitting at the piano I].

Après l’entracte, Jean-François Heisser défend les miniatures des Six bagatelles de Philippe Manoury, auxquelles succède la deuxième des Six études pour piano, Turbulences. La mobilité du geste et des registres s’inscrit dans le génie du clavier que l’on retrouve dans Soli d’Yan Maresz. Ce duo pour piano et électronique, diffusée sur système IKO par l’intermédiaire d’un totem au milieu de la scène, déploie des ondoiements d’une source à l’autre, dans une séduisante immersion qui n’a rien du visage d’austérité, voire d’aridité, que la recherche peut prendre. Dans ce flirt avec des synesthésies visuelles, l’Ircam ne renie pas la simplicité du plaisir.

GC