Recherche
Chroniques
Il trovatore | Le trouvère
opéra de Giuseppe Verdi
Cœur battant de la trinité verdienne, entre Rigoletto et La traviata, Il trovatore voyage depuis sept ans, en tant que production de la compagnie espagnole Ópera 2001 qui, de passage en France, fait un fameux séjour à Clermont Auvergne Opéra. Pour tenir le rythme intensif de trois représentations en vingt-quatre heures, rendu encore compliqué par des changements de distribution de dernière minute, il faut avoir expérimenté les affres de bien des tournées, en suivant toujours la formule éprouvée d’offrir au public des classiques du répertoire de manière sobre et respectueuse.
Selon le découpage en épisodes du populaire melodramma, le rideau chute après chaque tableau pour la confection rapide de décors légers, révélant d’abord un champ de bataille à fumerolles, puis un palais marmoréen, caverneux et enchanté, ensuite un rutilant cénacle de gitans : autant de vues cohérentes, fidèles aux indications scéniques originales. Dans l’ensemble, la scénographie d’Alfredo Troisi rend justice à l’ouvrage que Verdi conçut d’après El Trovador, pièce d’inspiration hugolienne d’Antonio García Gutiérrez (1836). S’y ajoutent les lumières de Stéphane Sanchez, en accord avec le livret – aussi bien sa poésie, tantôt de lune, tantôt de feu, que ses indications précises, en profitant du profond espace de jeu.
Si le récit ressemble à une succession de carrefours typiques de l’opéra romantique, où vont et viennent quelques personnages assez brutaux dans leurs réactions à vif, le jeu de ces derniers est dirigé avec simplicité par le metteur en scène Aquilès Machado, dans un style traditionnel, dépouillé dans les interactions. La plus haute véhémence peut éclater à l’instant où la mère traumatisée menace à la gorge son fils. Les impulsions personnelles peuvent aussi être dépassées, au fond, selon la note d’intention, pour mieux donner à comprendre l’engrenage des idéologies et le lourd héritage clanique : ainsi la haine viscérale du Comte envers Manrico s’insère-t-elle dans un plus large affrontement entre deux armées, clairement montré dans les mouvements et les parures. Celles-ci, d’apparence imposante mais de facture assez strictement opératique, imaginé par Sartoria Arrigo, jouent un grand rôle dans l’ambitieuse volonté de créer un conte. Guerriers ornés de pied en cape, chefs recouverts d’épais capuchons, robe de princesse pour la dame d’honneur, et surtout la gitane et ses voiles opulents tels son malheur fou volant au-dessus de tout le fracas des armes, maudite Azucena qui apporte au spectateur le plus grand plaisir, aujourd’hui comme toujours, comme un coup de foudre renouvelé.
Le mezzo azerbaïdjanais Chinara Shirin éclaire la nuit d’un chant épuré dès le captivant Stridè la vampa, puis régulier et impeccable dans Condotta ell’era, bien conclu dans le grave – « Sul capo mio le chiome / Sento drizzarci ancor!, alors que rien de visuel vient suggérer l’horreur racontée. Quand, en fin de représentation, les chanteurs travaillent sans filet, l’Azucena de Shirin trouve les ressources d’une intense tragédienne pour ouvrir le grand final par sa révélation hallucinée et l’ultime confession. Son Perigliari ancor languente (Acte II) a mieux que la tendresse maternelle requise, tandis que Giorni poveri vivea plaît par la clarté et un éclat certain au timbre.
Le charme semble peut-être plus évident chez Leonora Ilieva, éblouissante dans le rôle de la jeune Leonora, et ce dès l’arioso d’entrée, bien tenu dans l’ampleur et la longueur. Dans l’interprétation attendue d’une amoureuse éperdue, la cavatine Taceo la notte est donnée avec épaisseur et une touche finale relevée. En dépit d’une petite soumission au vibrato, la Bulgare brille de mille feux, participant au dynamisme du trio suivant (Ah! dalle tenebre), puis à la douceur caressante de l’arioso de l’Acte II avec une belle maîtrise, avant d’exprimer une remarquable exubérance à la vue de son sauveur, dans E deggio e posso crederlo? Et, enfin, de s’épanouir dans le superbe air D’amor sull’ali rosee, achevé d’un timbre clair et net. Aux côtés de cette cantatrice prometteuse, le soprano Hanna Vasiutkevych se montre touchant en confidente Inès, et beaucoup plus qu’un faire-valoir.
Vaillants comme la strette conclusive du deuxième acte, les solistes masculins plastronnent en acteurs tous convenables mais avec d’inégales fortunes en voix. En Manrico, David Baños met son ténor musclé et souple au service d’une furie finement contrôlée, pour, au dénouement, s’affirmer en subtil comédien davantage qu’en héros chevaleresque, au demeurant écartelé entre de légers excès de langueur ou de puissance. Le vieil officier Ferrando est bien défendu par la basse Viacheslav Strelkov, quoiqu’un peu émoussée, ce soir, au détriment de l’impact mélodique. Le baryton Paolo Ruggiero laisse apparaître une difficulté vocale en Luna très tendu, plus monotone qu’expressif, alors que le ténor Federico Parisi propose un capitaine Ruiz vif et chaleureux.
Plus sollicité mais en manque général de vigueur, le Coro Lirico Siciliano soutient la célèbre aria di bravura de Manrico d’un sanglant appel aux armes, brûlant jusqu’à l’ovation (III), et contribue à un stupéfiant Ardir! Andiam partagé entre fougue vindicative et staccato chuchoté ; il se montre notamment suave, avec une agréable nuance glorieuse dans le belliqueux Squilli, echeggi la tromba guerriera. Enfin, la fosse clermontoise impressionne davantage en qualité qu’en quantité, Martin Mázik et l’orchestre de la compagnie lyrique Ópera 2001 parvenant à varier les ambiances avec raffinement, à-propos et sens du théâtre, pour un Trouvère aussi féroce et mélodieux que de coutume.
FC