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Ivan Fedele, Francesco Filidei, Marc Monnet et Lara Morciano
Bruno Mantovani dirige l’Ensemble Orchestral Contemporain
Après son programme d’ouverture, donné à deux reprises à la Cité de la musique [lire notre chronique du 9 juin 2022], ManiFeste, le festival annuel de l’Ircam, s’est poursuivi avec un concert de l’Ensemble Intercontemporain consacré à Webern et Nunes avec deux premières signées Clara Iannotta et Kevin Juillerat, puis par un moment de théâtre multimédia conçu par le musicien allemand Alexander Schubert. Intitulée Richiamo, du nom de la pièce qui la commence, la quatrième soirée de cette édition 2022 est donnée par Bruno Mantovani à la tête de l’Ensemble Orchestral Contemporain (EOC) dont il est le directeur artistique depuis janvier 2020. Au menu, quatre œuvres, trois d’entre elles ayant vu le jour cet hiver.
Tout d’abord, Ivan Fedele, avec une page pour cuivres, percussions et électronique. Richiamo fut créé ici-même, au Centre Pompidou, par David Robertson au pupitre de l’Ensemble Intercontemporain, le 30 avril 1994. Aux deux cors, deux trompettes, deux trombones, tuba et deux percussionnistes et clavier MIDI se marie une réalisation en informatique musicale effectuée à l’Ircam par Christophe De Coudenhove. L’électronique ouvre le concert avec les tams-tams et les gongs, dans une onde vrombissante pianissimo tranquillement installée, sur laquelle surgit ensuite un entrelacs savant de salves de cuivres, d’abord latent puis de plus en plus tonique, dans une grande plasticité de la nuance. « L’homogénéisation des pupitres, à travers l’électronique et une amplification non spatialisée des instruments, excède le simple écho, la simple imitation, le simple effet stéréophonique, pour impliquer une lévitation du matériau », commentait Laurent Feneyrou en 1994 (brochure de salle). À peine moins de trois décennies plus tard, Richiamo et son écriture très raffinée n’ont pas pris une ride. Passé un duo de vibraphones s’engage une section moins contemplative, au cœur de laquelle se laisse reconnaître un motif entendu dix minutes plus tôt. Un nouveau chapitre s’enchaîne, presque extatique, intimant un geste qui file vers les lointains, sous l’aura des cloches, puis des gongs et des tams-tams liminaires.
Créé à Oullins le 15 mars dernier, Ballata n°8 de Francesco Filidei [lire nos chroniques d’I funerali dell’anarchico Serantini, Toccata, Giordano Bruno, Dormo molto amore, Finito ogni gesto, Concertino d’Autunno, Ballata n°7, L’inondation, Sull’essere angeli et Requiem] est, à l’instar des deux pièces suivantes, une commande de l’EOC auquel s’est associé, pour celle-ci, le GRAME dans le cadre de sa Biennale des musiques exploratoires (Lyon). Depuis 2011, le compositeur italien édifie un cycle de ballades à comprendre dans la souvenance des récits poétiques et musicaux de la Renaissance dont héritèrent les romantiques. Ballata n°8 fait appel à l’électronique, à l’instar de la première de ce corpus mais sans induire de partie soliste, cette fois (Ballata n°1 est conçue pour orgue et ensemble). Elle s’ouvre « sur de soudaines explosions de matières dans le vide, qui partent à la recherche d’une direction dans le temps tout en restant emprisonnées dans leurs bulles respectives. Les éléments de colère font place à une longue lignée de pédales qui recèlent des fragments de mélodies », précise Filidei (même source). S’ensuit une œuvre à l’inventivité hypnotique, où la scansion est un principe – qu’il s’agisse de percussion ou de pizz’ très secs –, dont la teneur électronique fixe a été réalisée par Carlo Laurenzi à l’Ircam. Un escalier au halo consonnant vient fermer l’histoire, sur un zéphir invasif.
Le compositeur chilien, chercheur et réalisateur en informatique musicale José Miguel Fernández a conçu au GRAME l’électronique en temps réel de Nei rami chiari de Lara Morciano qui naquit ce même soir de mars 2022, dans la banlieue lyonnaise. La compositrice [lire nos chroniques de Nel cielo appena arato, Raggi di stringhe et Philiris, ainsi que notre entretien] s’est attelée à l’analyse des résonances des gongs, à partir des possibilités harmoniques de laquelle elle a façonné « une couleur pulvérisée et changeante, dans une alternance entre des agrégats timbriques, suspendus et raréfiés, et des moments d’élaboration et de densification de la masse sonore, porteuse d’énergie et de force » (ibid.). Avec la complicité d’Étienne Démoulin pour la diffusion sonore, Bruno Mantovani fait découvrir une œuvre puissamment dense, touffue, toujours terriblement tendue qui tient peut-être d’une urgente vitalité. La démultiplication des quinze musiciens en plusieurs modes de jeu, sur un indicible foisonnement rythmique, contribue au sentiment de vastitude expressive que génère cet opus fascinant. Un épisode d’apparence plus calme en ponctue l’exécution, de ce faux calme qui permet de rassembler ses forces avant de se relancer à pieds joints dans la lutte. De fait, Nei rami chiari reprend de plus belle l’épopée, décuplant son excitante turbulence dans l’effervescence de chaque trait, jusqu’à une séquence final non en retrait, effondrement ou extinction, voire en apothéose, mais en un épuisement finement exploré qui s’égaille dans le terrain instrumental. Quelle verve… et quelle santé, bravo !
C’est pour Ti, ti, ti, ti, timptru que l’EOC déploie un plus grand effectif. Créée à Saint-Étienne le 15 février dernier par les interprètes de ce soir, cette page de Marc Monnet est ouverte par un solo assez conséquent de contrebasse. La percussion signale le début d’une partie d’ensemble qui accumule cependant une succession de soli – violon, harpe, piano, clarinette basse, banjo, hautbois, etc. Dans l’âpreté en ricanements tristes sourd quelque chose de farouche, de volontairement inconfortable. Vous l’aurez compris : l’électronique y brille par son absence.
BB