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Chroniques
Shirine
opéra de Thierry Escaich
Après Claude en 2013, le compositeur Thierry Escaich revient à l’Opéra national de Lyon pour la création mondiale de son troisième opéra, Shirine, faisant suite au plus récent Point d’orgue, donné sur plusieurs scènes en double affiche avec La voix humaine de Poulenc [lire notre chronique du 4 mars 2022]. Facile d’écoute et, à vrai dire, peu novatrice, la musique propose une très large variété de styles, entre sonorités orientales jouées par certains instruments (flûte naï, duduk, qânûn) pour figurer l’intrigue au VIe siècle des amours contrariées entre la princesse d’Arménie Shirine et le souverain iranien Khosrow, et la plus grande partie de la partition qui relève de notre époque. On décèle ici ou là des accents alla Messiaen dans un interlude convoquant cuivres et percussions, ou encore quelques passages répétitifs aux rythmes très marqués pouvant se rapprocher de Glass ou d’Adams. La texture, magnifiquement dirigée par Franck Ollu, illustre en tout cas au plus près l’action et les situations du livret en français d’Atiq Rahimi (d’après Khosrow va Chîrîn de Nezâmî), depuis la douceur des scènes les plus intimes jusqu’au déchaînement des tutti qui montent vers plusieurs climax pour les moments dramatiques. Comme à l’accoutumée, le Chœur de l’Opéra national de Lyon, régulièrement sollicité au cours de la représentation d’une heure et quarante-cinq minutes donnée sans entracte, se montre impeccable de rythme et de son collectif.
Le rôle-titre est attribué au soprano Jeanne Gérard qui projette avec force son registre aigu, en particulier dans les moments de colère, tandis que la partie grave est plus discrète. C’est d’ailleurs une curiosité de la soirée, de nombreux rôles – Shirine, Chamira, Chapour – ont une écriture vocale qui met leur extrême grave en net inconfort. Dans le rôle de Chamira, reine et tante de Shirine, le mezzo Majdouline Zerari développe un joli chant et une articulation claire du texte, son volume limité passant mieux lorsque l’épaisseur orchestrale se réduit.
Côté masculin, la partie de Khosrow est si développé qu’il pourrait aisément donner son titre à l’œuvre. Le ténor Julien Behr assure avec panache et sans faillir une écriture souvent tendue et qui se situe dans ses notes les plus aigües. Titulaire de Claude il y a neuf ans [lire notre chronique du 27 mars 2013], on retrouve le baryton Jean-Sébastien Bou, Chapour magnifiquement timbré et à la projection puissante, en plus de sa grande qualité de prononciation. Entre les deux conteurs, on apprécie davantage la noblesse de l’instrument du baryton-basse Laurent Alvaro (Bârbad) que l’émission vigoureuse mais plus prosaïque du contre-ténor Théophile Alexandre (Nakissâ), le baryton Florent Karrer (l’architecte Farhâd) et le ténor Stephen Mills (Chiroya, fils de Khosrow) complétant avec bonheur la distribution vocale.
Réalisé par Richard Brunel, également directeur de l’institution, le spectacle maintient au plus haut l’intérêt des spectateurs, enchaînant rapidement entre le prélude, les douze tableaux et l’épilogue. Entourée de petits merlons de terre, la scénographie d’Étienne Pluss se concentre d’abord essentiellement sur quatre hautes cloisons en croisillon, formant quatre secteurs angulaires. Posé sur une tournette, ce dispositif permet d’isoler un ou deux personnages dans l’intimité d’une pièce, mais aussi de projeter des vidéos sur les cloisons, ou encore, en les déployant, de construire une plus vaste salle, éclairée par deux lustres qui descendent des cintres.
Le huitième tableau est le plus spectaculaire. Au travers d’une fumée dense, en fond de scène, une grande porte s’ouvre et on amène sur le plateau un immense rocher représentant la montagne de Bisoutoun, que Farhâd sculpte en son sommet en forme de cheval pour séduire Shirine. Montrée en vidéo, la conclusion est plus douloureuse : d’abord l’assassinat de Khosrow par son fils Chiroya, puis Shirine qui enlace le cadavre et se roule dans l’herbe avec lui pour finir par se suicider. On est heureux de constater la curiosité du public lyonnais venu faire salle pleine, et qui, malgré de rares défections en cours de représentation, envoie des applaudissements nourris à l’ensemble des artistes.
IF