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Chroniques
Antonio Salieri
Les Danaïdes
Né à Legnago (près de Vérone) en 1750, dans une famille modeste, Antonio Salieri eut la malchance de perdre ses parents à quinze ans, et la chance de pouvoir accéder à des études musicales grâce à une famille vénitienne. À l'école de San Marco, il étudie avec le compositeur, claveciniste et organiste Giovanni Battista Pescetti, ainsi qu'avec Giovanni Pacini, avant d'être remarqué par le maître de Chapelle à la cour de Vienne, Florian Leopold Gassmann. L'homme lui donne une éducation musicale et littéraire complète, le traitant comme son propre fils, jusqu'à sa mort en 1774. Salieri reprend alors le poste de ce père adoptif et multiplie les rencontres importantes – comme celles du futur empereur Joseph II ou de Christoph Willibald Gluck –, puis les succès internationaux. En effet, depuis Le donne letterate (1770), son premier opéra, les commandes affluent des principaux théâtres italiens. Parmi la quarantaine d'ouvrages lyriques qu'il compose jusqu'à sa mort en 1825 – précédée de plusieurs années de maladie mentale –, citons La grotta di Trofonio (1785) [lire notre chronique du 11 mars 2005], Tarare (1787), Falstaff (1799) [lire notre critique du CD] et cesDanaïdes qui nous intéressent aujourd'hui.
En 1783, grâce à Gluck, Salieri put écrire son premier opéra pour Paris, soit une tragédie lyrique en cinq actes, sur un livret de François Bailly du Roullet et Louis Théodore Baron de Tschudy. Ce livret s'inspirait de celui de Ranieri de Calzabigi, Ipermestra, écrit pour le créateur d'Orfeo ed Euridice en 1778. Par manque de temps, le réformateur allemand en confia la mise en musique à son protégé. Sur le livret original, le nom des deux compositeurs apparaît, mais l'un et l'autre, sans doute dans le but de voir Salieri accepté à Paris, s'en renvoyèrent quelque temps la paternité. L'œuvre, chantée en français, fut créée le 26 avril 1784 et remporta un vif succès (127 représentations à l'Opéra, jusqu'en 1828). Seul mécontent de l'histoire : de Calzabigi, dépossédé de ses droits d'auteur.
« Si je parle, j'immole un père / si je me tais mon époux va périr » : tel est le dilemme d'Hypermestre dont le père Danaüs a ourdi une terrible vengeance pour détruire les fils d'Egyptos, son frère défunt. À la faveur d'une nuit de noces destinées à réconcilier les deux familles, les Danaïdes devront massacrer leurs époux ; si cela n'a lieu, Danaüs mourra, ainsi que l'oracle l'a prédit. Mais Hypermestre aime le tendre Lyncée et ne peut se résoudre à le perdre. Elle seule résiste à son père tandis que ses sœurs, « filles dénaturées », finiront avec lui aux Enfers. Montserrat Caballé, avec un timbre chaleureux, des aigus charnus, ses pianissimi délicats (scène d'adieu à Lyncée, Acte 4) incarne cette héroïne avec beaucoup de présence. Face à elle, Christer Bladin est un ténor solide à la voix souple, à la diction soignée. Quant à Jean-Philippe Lafont, son ampleur vocale, ses graves sonores font de lui un Danaüs des plus charismatiques.
Enfin, à la tête de l'Orchestre Symphonique de la RAI, Gianluigi Gelmetti réalise un beau travail d'équilibre et de couleur, sensuel et élégant, s'attachant à rendre palpable la montée de danger ou au contraire, excellant dans les diminuendi. Si les chœurs sont peu à l'aise avec la langue française, la rareté de l'œuvre, la qualité de la distribution et celle de sa captation – le 11 septembre 1983, au Teatro Morlacchi de Perugia – font de ce disque une belle tentation, à plus d'un titre.
LB