• pages de chevet

Publié après la disparition de Bernard Lortat-Jacob en 2024, Passeurs de mémoire n’est pas seulement un livre d’ethnomusicologie. C’est un chant à plusieurs voix, une traversée humaine et sonore du pays de l’Oach, cette petite région roumaine à la tradition musicale singulière, aux danses complexes et aux violons suraigus. Nourri de plusieurs décennies d’enquêtes, ce livre raconte autant l’enregistrement de musiques rares que les liens noués avec ceux qui les portent – chanteurs, violonistes, villageois – et avec les compagnons de recherche, eux aussi peu à peu disparus.

Grâce à une langue sobre et fine, le lecteur découvre l’étonnante complexité du danț, mélodie vivante et changeante, impossible à fixer sans en trahir l’âme. Ici, pas de folklore figé ni de nostalgie muséale : Lortat-Jacob observe avec humilité les dynamiques du terrain, les corps qui dansent, les voix qui crient, les générations qui transmettent sans méthode mais avec ferveur. Il rend hommage à ses truchements (Vasile, Speranța, Théo), médiateurs musicaux autant qu’amis. La musique est alors mémoire vivante, lien entre les vivants et les morts, de même que le livre lui-même, œuvre inachevée, s’offre en acte de passage.

Au delà des observations savantes, le ton touche : personnel, pudique, jamais clinquant, traversé d’émotion mais sans pathos. On sent le chercheur, toujours rigoureux quoi que bouleversé, qui interroge autant les sons que les conditions de leur émergence, se gardant sainement d’appliquer de trop normatives grilles d’analyse. Au fil des pages, ce texte prend l’allure d’un dernier carnet de terrain, vibrant d’humanité.

Livre rare, dont l’écoute attentive prolonge la vie de ceux qu’il évoque et celle de son auteur lui-même, Passeurs de mémoire – Musique de l’Oach (Roumanie) s’impose comme une ethnomusicologie du sensible, dira-t-on. Le voyage vous attend !

BB