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Chroniques
Claude Debussy
Pelléas et Mélisande
Le label suisse livre aujourd'hui un témoignage des représentations de Pelléas et Mélisande de Debussy lors de la saison 1968/69 du Grand théâtre de Genève, juste après la mort d’Ernest Ansermet qui avait en partie préparé l'orchestre. Jean-Marie Auberson reprenait la baguette pour une version inquiétante du drame de Maeterlinck, qui prendra son envol très progressivement. Avec une couleur souvent terne, des bois régulièrement faux, des cuivres approximatifs, l'Orchestre de la Suisse Romande, qui d'autres fois a su se montrer plus à son avantage, déçoit. Cette lecture s'avère assez fade, emphatique par moment, mais surtout peu précise ; les différents plans sonores ne sont pas mis en regard, tout est d'une même pâte, un peu sourde, et l'implication dans la dramaturgie met deux actes à montrer la tête. Mais, une fois réveillée, la fosse s'impose magnifiquement dans les trois derniers, faisant scintiller la mer et les eaux noires de l'inconscient de l'héroïne fatale. Pour finir, le chef accorde un relief salutaire à son instrument.
Contre toute attente, ce n'est pas le Golaud de Gérard Souzay qui marque le plus ce Live. En effet, outre qu'il pousse douloureusement son aigu, son chant affirme peu de nuances, et le personnage manque de finesse. Sa proposition est des plus caricaturales, à tel point que certains effets en deviennent grotesques. Ce Golaud-là n'a rien d'inquiétant : il pourrait même faire rire ! Le baryton oublie de chanter, par moment, lançant une sorte de déclamation ample qui ne se soucie plus de la partition (ce qu'un van Dam fatigué a pu faire à Garnier il y a quelques années dans le même rôle, par exemple). Il commence à bien vouloir faire de la musique au cinquième acte.
Si Erna Spoorenberg propose une Mélisande gentille, d'une voix par moment instable, c'est par le Pelléas d’Eric Tappy que cette publication prend tout son sens. Le ténor vaudois offre un timbre d'une clarté troublante au personnage, la voix suffisant d'elle-même à éclairer le destin de Mélisande, prisonnière des vieillards du château. Il est éclatant comme un amoureux qui ne songe qu'à la satisfaction de son désir, dans une véhémence magnifique. L'aveu du quatrième acte nous suspend à ses lèvres, et c'est bel et bien lui qui mène la danse avant le coup d'épée de Golaud. Quelle présence !
Enfin, on remarquera d'autres voix judicieusement distribuées. Ainsi Anne-Marie Blanzat proposait-elle un Yniold dépoussiéré et véritablement enfantin, ce qu'on n'obtient pratiquement jamais lorsqu'on fait chanter le rôle à une soprano plutôt qu'à un garçonnet. On appréciera le superbe Arkel de Victor de Nirké, toujours très égal et généreusement ample, posant comme un baume un « Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du cœur des hommes... » à pleurer. Enfin, Arlette Chédel était une Geneviève au timbre richement coloré, à la diction parfaite et à la voix attachante. Elle imposait un chant intelligent, sensible, nuancé et présent, autant de qualités qui la rendent est émouvante.
BB